Pourquoi les Francs-maçons s’intéressent-ils Í  la communauté alévie ?

Donnée par l’écrivain Erwan Kerivel, une conférence publique intitulée, « Les Alévis, une communauté en péril ? » a été organisée mercredi 20 septembre à 19 h au temple Groussier du Grand Orient de France.

Les loges « Lumière Universelle Solidarité Laïcité » et « France-Arménie » du Grand Orient de France ainsi que « Les Ancients » de la Grande Loge nationale française ont organisé mercredi 20 septembre à 19 h au temple Groussier du Grand Orient de France une conférence publique animée par l’écrivain Erwan Kerivel. Il a rencontré pour la première fois les membres de cette communauté en 1992 lors d’un mouvement de grève de la faim en soutien aux déboutés du droit d’asile. Devenu turcophone, il a sorti trois ouvrages dont La Vérité est dans l'homme : les Alevis de Turquie et Les fils du soleil, Arméniens et Alévis du Dersim.

« Le livre le plus beau à lire, c'est l'être humain. »

Qui sont les Alévis dont la culture reste méconnue en Europe ? Cette minorité n’en est en fait pas une car elle représente à peu plus d’un tiers de la population de Turquie soit 15 à 20 millions personnes. Ils sont turcs, kurdes, turkmènes ou zazas (minorité persophone de Turquie). L’Alévisme reste un phénomène complexe où différentes cultures et croyances ont mené à un système de pensée dont l’homme reste la pierre angulaire. C’est également une philosophie qui place en son centre l’homme et son rapport à la nature. L’Alévisme se démarque des différents courants Sunnites et Chiites. Les cérémonies religieuses, mixtes, se tiennent dans des cemevi (maisons de prières) et non dans des mosquées. Les femmes sont égales aux hommes et ne sont pas tenues de se couvrir la chevelure. L'alcool n’est pas interdit. Les Alévis ne font pas le ramadan, ne vont pas en pèlerinage à la Mecque, ne sont pas obligés prier cinq fois par jour. Pour eux, « Dieu est en l'homme, l'homme est en Dieu ». Vénéré par les Alévis, Haci Bektas Veli, philosophe mystique et considéré comme un saint homme disait : « Quoique tu cherches, cherche-le en toi, il n'est ni à Jérusalem, ni à la Mecque, ni dans le pèlerinage ».

Au quotidien, les Alévis prônent un mode de vie libéral empreint de tolérance, d’humanisme, d’acceptation et le respect de l’autre. Rempart contre toutes les formes d’extrémisme, de fanatisme et d’intégrisme religieux, dans un contexte plus politique, ils œuvrent pour le développement de la démocratie, la sauvegarde de la laïcité et le respect des droits de l’homme en Turquie et en Europe. Cependant, persécutés durant des siècles à cause de leur dissidence à l’Islam officiel, les Alévis sont maintenant dans un processus de lutte identitaire. Mais ils n’ont pas pour autant cédé à la haine et ont opté pour la compassion et la tolérance. L’hyper président actuel, fervent défenseur de la « race turque pure » perpétue l’ethnocide en cours afin d’éradiquer cette diversité culturelle ainsi que le caractère hétérodoxe de ses croyances qui vont à l’encontre de l’idéologie politique de son régime.

Les droits des peuples sont-ils vraiment protégés ?

La question que l’on pourrait donc se poser est la suivante : pourquoi la Franc-maçonnerie s’intéresse à cette communauté dont personne ne parle en Europe ? Doit-on rester candide et imaginer qu’il n’y a pas plus à comprendre que ce qui est énoncé, que cette conférence ne reste qu’une initiative personnelle de l’écrivain Erwan Kerivel et de quelques membres des loges présentes ce soir-là ou peut-on se permettre de penser que cette intervention n’est que la genèse d’une obscure alliance entre la Franc-maçonnerie et des leaders alévis ?
Mais revenons sur cette organisation considérée, à juste titre, comme l’une des plus secrètes au monde. Si l’on s’en tient au discours débité au commun des mortels et si l’on ne s’écarte pas des sentiers battus, la Franc-maçonnerie est née au Royaume-Uni il y a 300 ans cette année. Ses membres sont recrutés par cooptation et cette organisation  est régie par des rites initiatiques faisant référence à un secret maçonnique et à l’art de bâtir. Et c’est la pratique de ces rites qui entraînera à partir de 1893 la création de ce qu’on appelle les obédiences, sortes de fédérations internes qui ne se reconnaissent pas toutes entre elles… Et il reste très ardu pour les néophytes et les non initiés de se retrouver dans cette société éclatée en loges, les « régulières » et les autres, les petites et les grandes, les affairistes, les élitistes ou pas, et les plus ou moins mystiques.

Réputée anticléricale, ses valeurs clés en seraient l’humanisme, la tolérance, la liberté et la fraternité. Or premier paradoxe, les francs-maçons mélangent avec une aisance parfaite les mythes de l'Antiquité, les fondements de la chrétienté, l'imagerie des Templiers et de la chevalerie moyenâgeuse, l'ésotérisme de la Renaissance, les traditions des bâtisseurs, l'esprit des Lumières, le positivisme scientifique, la foi laïque et républicaine. Ses rituels citent Moise et Jésus, mais également Mahomet, Bouddha, Confucius, Socrate ou Pythagore !

Marc Henry, ancien Grand Maître de la Grande Loge de France résumait ainsi : « Voilà trois siècles que nous nous enrichissons de toutes les traditions spirituelles du monde, pourvu qu'elles ne soient pas contraires à nos principes de tolérance et de libre-pensée ». La Franc-maçonnerie énonce souvent le terme « Lumière » pris dans le sens « Connaissance » où il s’agit  d’un savoir ésotérique, hermétique et occulte. Ces connaissances sont réservées à ses membres et ne doivent en aucun cas être mises à la portée de tous. C’est ce que la maçonnerie nomme « les petits mystères et les grands mystères ». Et en 2011 au micro de France Culture, le père Georges Morand, l’ancien exorciste du diocèse de Paris, témoignait sur le satanisme des élites et affirmait que ces « mystères » se perdait parfois aux frontières du spiritisme et des messes noires. Or, on aborde ici la frontière de ce que certains qualifient de mythes et calomnies.

À un niveau plus général, on peut comptabiliser entre 3 et 4 millions de francs-maçons de par le monde dont, et selon les sources, entre 150 000 et 180 000 en France. Et on ne peut pas réfuter le fait qu’ils soient omniprésents dans les gouvernements et qu’ils aient investi le monde des affaires, les médias, la culture, la magistrature. En 2009 déjà, la journaliste Sophie Coignard avait publié un livre, Un État dans l’État mettant ainsi en évidence l’influence de la Franc-maçonnerie dans les hautes sphères. Et contrairement à ce qu’ils affirment, ce sont les francs maçons qui tiennent les commandes de chaque État, et très certainement de certaines religions. Pour nombre de ses détracteurs, la Franc-maçonnerie est également accusée d’être atlantiste, sioniste, anti communiste, pro européenne et ultra libérale.

Bien évidemment, les maçons des trois premiers degrés ne connaissent rien des enjeux qui se trament aux niveaux supérieurs. La plupart sont là pour entretenir un réseau et s’imaginent qu’un jour les grands secrets leur seront révélés. Et à chaque étape de leur initiation, ils prêtent serment et sont confrontés à des rituels de plus en plus obscurs, pouvant être apparentés à des pratiques satanistes.

Chacun en pensera ce qu’il voudra mais pourtant ! C’est le général Albert Pike lui-même, franc-maçon américain du 33e degré au XIXe siècle, qui avait énoncé en comité restreint : « La religion maçonnique doit être par nous tous, initiés de haut grade, maintenue dans la pureté de la doctrine luciférienne. » Et de rajouter dans son ouvrage Morals and Dogma of the Ancient and Accepted Scottish Rite of Freemasonry (Les mœurs et le dogme du Rite écossais antique et accepté de la Franc-maçonnerie) : « Lucifer, le porteur de Lumière ! C’est un nom étrange et mystérieux donné à l’esprit des ténèbres ! ». Ceci remonte au XIXe siècle bien sûr, mais pour une société qui se targue de respecter des rites séculaires, on peut augurer du fait que ce point précis perdure encore au XXIe siècle…

La Franc-maçonnerie engendre une multitude de questions de part son caractère initiatique ésotérique. Mais pourquoi ces rites ? Pourquoi cette peur d’avouer son appartenance lorsqu’on fait partie de la grande famille des frères et sœurs « Francs-macs » ? Bref, pourquoi tous ces mystères si rien n’est à cacher ?

Concernant les Alévis, il semblerait pour le moins surprenant qu’aucun accord secret ne soit en train de se négocier entre les loges présentes mercredi soir et les leaders alévis. Et si tel était le cas, on peut aisément imaginer que la communauté elle-même soit tenue dans l’ignorance de cette transaction. Mais alors, quels seraient les enjeux de cette alliance et surtout, quels en seraient les profits pour chacune des parties ? Quel pion représenterait la communauté Alévie sur le vaste échiquier de la Franc-maçonnerie ?

Dogan Presse Agence


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