Le droit de manifester menacé

Depuis près d’un an, nous avons enquêté sur le respect du droit de manifestation pacifique en France. Le constat est sans appel : l’application de l’état d’urgence et un usage disproportionné de la force ont restreint ce droit fondamental de manière préoccupante.

Le droit de manifester est un droit fondamental, indispensable à la liberté d’expression, et à la possibilité de revendiquer ses opinions et ses droits. Il ne peut être restreint qu’à des conditions très strictes . Les autorités ont pour responsabilité de protéger tous nos droits fondamentaux, pourtant, ils sont de plus en plus présentés comme secondaires voire comme des menaces qu’il faudrait donc limiter.

L’état d’urgence détourné pour restreindre le droit de manifester
Depuis novembre 2015 et les terribles attentats qui ont touché la France, l’état d’urgence a été instauré et renouvelé à cinq reprises. Alors que son objet est de prévenir de nouvelles attaques, les mesures de l’état d’urgence ont été utilisées pour interdire 155 manifestations. Tous les 3 jours environ, une manifestation est interdite en France sous ce prétexte. Par ailleurs, 639 interdictions individuelles de manifester ont été ordonnées par les préfectures en France, sous l’argument de prévenir les violences lors des manifestations, alors que le plus souvent il n’existait que peu ou pas d’éléments démontrant que ces personnes auraient participé à des violences.

L’Etat n’a pas été en mesure de prouver pour chacune de ces interdictions qu’elles visaient à prévenir une menace spécifique, qui ne pouvait être évitée qu’en limitant un droit pourtant fondamental. De telles mesures, sans lien démontré avec la lutte contre la menace terroriste, ont un impact démesuré sur le droit des personnes à exercer leur liberté d’expression pacifique.

Ainsi, de nombreuses personnes interdites de manifester avaient simplement été présentes lors de manifestations ayant donné lieu à des actes de violences par des manifestants, mais rien ne permettait de leur reprocher la participation aux dites violences.

639 mesures d’interdictions individuelles de manifester ont été prises contre des personnes dont 21 dans le cadre des manifestations liées à la COP21, et 574 dans le cadre des manifestations contre la loi travail.

En France, sous l'état d'urgence, 155 manifestations interdites en 18 mois.

Nous avons aussi pu constater un usage récurrent de certaines pratiques de maintien de l’ordre contraires au droit international.

Par exemple, la fouille systématique et la confiscation d’outils de premiers secours, tels que les sérums physiologiques, les lunettes qui ne peuvent pas être considérées comme des armes par destination, empêchent les personnes de se soigner. Le fait que du matériel de premier secours ait été confisqué aux street medics est aussi choquant, car ce matériel peut être indispensable pour prodiguer des soins de première urgence. :

À chaque fois on leur expliquait qu’on avait besoin de ce matériel pour prodiguer les premiers secours aux manifestants qui, par exemple, se sentaient mal à cause des lacrymogènes. Ils nous répondaient qu’on ne devait pas venir en manifestation si on avait peur que les lacrymogènes puissent être utilisés ».

Annaliese, une Street-Medic (secouriste) à Nantes

Des stratégies de maintien de l’ordre peuvent aussi mener à une hausse des tensions et limiter de manière disproportionnée le droit de manifester. Par exemple, l’usage fréquent et prolongé des nasses, cette pratique qui vise à confiner des manifestants pour les empêcher de manifester ou de rejoindre une manifestation, est une atteinte disproportionnée au droit de manifester, en particulier lorsque les personnes « nassées » sont des manifestants pacifiques. Pourtant, il existe des stratégies de maintien de l’ordre qui visent à diminuer les tensions plutôt qu’à les attiser.

Un usage disproportionné et arbitraire de la force

Notre recherche, confortée par l’observation de plusieurs manifestations, nous a permis de constater le recours par les forces de l’ordre à un usage disproportionné de la force. Selon des témoignages concordants recueillis auprès des streets medics, des bénévoles qui soignent les personnes blessées au cours de manifestations, plus de 1000 personnes auraient été blessées rien qu’à Paris lors des manifestations contre la loi travail. Bien sûr, les actes de violence de la part de certains manifestants à l’encontre des forces de l’ordre doivent aussi être condamnés. Toutefois, ils ne peuvent justifier une violence disproportionnée de la part des forces de l’ordre.

Ces pratiques d’usage de la force, outre qu’elles peuvent avoir des conséquences dramatiques pour les personnes touchées, peuvent également, selon de nombreux témoignages, avoir un impact sur le droit de manifester en lui-même, les personnes ayant peur de revendiquer leurs droits en participant à des manifestations.

Je manifeste depuis mon jeune âge et je n’ai jamais vu une telle agressivité des forces de police. Je suis une femme de 50 ans, cadre dans le secteur privé et pacifique.

Sandrine, manifestante à Rennes.

Elle rajoute « et je veux démentir les autorités qui disent que la police ne s’en est prix qu’aux casseurs lors des manifestations du printemps 2016 ».

Des journalistes intimidés et violentés

Les violences à l’encontre de journalistes et autres travailleurs des médias lors des récentes manifestations ont fait le tour de la presse.

L’usage de la violence de la part des forces de l’ordre contre des personnes filmant ou documentant des manifestations est particulièrement inquiétant car il remet en cause le droit à une information libre. Même en cas de violence, il est du devoir des autorités de permettre aux journalistes de mener à bien leur travail.

Je n’ai pas d’autres explications que d’avoir été visé volontairement car je filmais l’interpellation violente d’un manifestant. Il n’y avait pas d’autres manifestants autour de moi, ils étaient à au moins 20/30 mètres à l’arrière et ils étaient en train de se disperser.

Joël, réalisateur indépendant
Manifester est un droit, pas une menace

Une manifestation doit toujours être considérée comme légale a priori, à moins que l’Etat puisse avancer des éléments précis justifiant son interdiction.

De plus, les actes de violences commis pendant une manifestation ne peuvent être imputés qu’à leurs auteurs et ne suffisent pas à qualifier une manifestation de violente.

Ainsi, toute intervention des forces de l’ordre ne doit viser que les individus responsables des violences. Il est du devoir de l’Etat de reconnaitre que les manifestations sont un usage légitime de l’espace public et il doit justifier d’une certaine tolérance envers les éventuelles perturbations non violentes qui pourraient avoir lieu. Pourtant, depuis l’instauration de l’état d’urgence, un glissement dangereux s’est opéré : des stratégies de maintien de l’ordre sont mises en place qui impactent fortement des droits fondamentaux dans l’objectif de prévenir des risques qui pourraient avoir lieu, sans aucune preuve concrète et solide que des événements dangereux pour la nation vont en effet arriver et que la seule solution pour y faire face est la restriction d’un ou de plusieurs droits fondamentaux. Cette logique dangereuse est celle de l’état d’urgence.

Il est temps de mettre un terme à cette dérive : manifester est un droit, pas une menace.

Manifester est un droit, pas une menace !

Sur Twitter, par mail ou par courrier, interpellez, Emmanuel Macron, le nouveau président de la République française.


Amnesty International


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