Pénurie de masques : le ministre de la Santé tente de rassurer pour couper court Í  la polémique

Olivier Véran a dit assumer une politique visant à privilégier la distribution de masques au personnel soignant, compte tenu des stocks disponibles. Selon lui, les masques sont de toute façon inutiles pour les citoyens lambda.

Alors que la pandémie fait rage, le monde médical continue d'alerter sur la pénurie de masques, notamment FFP2, qui protègent mieux les soignants en charge des malades du Covid-19. Le 21 mars, en conférence de presse, le ministre de la Santé Olivier Véran a tenté de rassurer le personnel soignant et défini les contours de la stratégie gouvernementale sur la distribution à venir des masques.

Mais avant toute chose, le ministre s'est attelé à essayer d'éteindre la polémique qui enfle sur la gestion des stocks par l'Etat, jugeant que «face à une épidémie de telle ampleur, il serait facile de rechercher les responsabilités», et pointant du doigt les choix politiques de réduction de la dépense publique des années précédentes, à cause desquels les stocks «se sont réduits».

«Dès le début nous avons recouru à l'importation de masques, [...] nous avons tout mis en œuvre», a-t-il plaidé, avant de faire sa principale annonce, à savoir que l'Etat avait «d'ores et déjà signé des commandes de 250 millions de masques qui seront livrés progressivement».

Un chiffre relativement faible à l'échelle du pays, qui dénote la stratégie adoptée par le gouvernement : si les syndicats des forces de l'ordre, entre autres, se préoccupent particulièrement de l'absence de masques pour leurs agents – ceux-ci devant contrôler et sanctionner les citoyens qui bravent les interdictions de confinement – Olivier Véran assume «un choix difficile» en octroyant les «masques d'abord aux personnels de santé». Cette logique vise, selon lui, à «permettre de tenir le plus longtemps» possible avec le stock existant. Une «gestion de père de famille», avait décrit la porte-parole du gouvernement Sibeth Ndiaye le 20 mars sur BFM TV.

«Porter un masque en vie quotidienne, ça pose une complexité d'usage»

Le gouvernement a ainsi fait passer un message clair : il n'y aura pas de masque pour les citoyens lambda, et pour cause, ces derniers n'en auraient pas besoin, selon le ministre de la Santé. Olivier Véran l'a assuré, les masques ne serviraient pas à protéger les Français dans la rue. «L'usage du masque en population réelle ne correspond pas aux recommandations internationales», notamment de l'OMS, a-t-il justifié, invitant de ce fait «toute personne qui dispose encore de masques à les remettre aux soignants».

«Porter un masque en vie quotidienne, ça pose une complexité d'usage. Je ne dit pas ça en considérant qu'on ne serait pas capable de se servir d'un masque, ce n'est pas du tout mon discours. Qu'on ait un masque ou non, on touche son visage à peu près toutes les minutes. Un masque est une structure qui est faite de papier et qui est poreuse. Un masque n'empêche pas les particules de venir s'imprégner dans le masque. Le masque empêche les particules de venir dans votre bouche ou dans votre nez. Mais si vous portez un masque imprégné par des particules contaminées, et qu'ensuite vous touchez votre masque, c'est par les mains que vous allez vous contaminer», a-t-il fait valoir, reprenant l'argumentaire développé la veille par la porte-parole du gouvernement Sibeth Ndiaye.

Le 20 mars sur BFM TV, Sibeth Ndiaye avait en effet créé une polémique à ce sujet, avec une argumentation très personnelle : «Les masques ne sont pas nécessaires pour tout le monde, et vous savez quoi ? Moi je ne sais pas utiliser un masque, [...] parce que l'utilisation d'un masque, ce sont des gestes techniques précis, sinon on se gratte le nez sous le masque et on a du virus sur les mains [...] ça peut même être contre-productif.»

Une ligne déjà défendue le 17 mars par le directeur général de la santé, Jérôme Salomon, qui s'était indigné de voir «énormément de masques dans la rue, des personnes qui n'ont aucune raison d'en porter et d'être exposés à des malades». «Ces masques sont mal portés, mal utilisés, ils manquent aux soignants», avait-il poursuivi, reconnaissant indirectement, donc, qu'il y avait bel et bien un manque de masques.

En Asie, un point de vue divergeant sur la question

Pourtant, des experts chinois – dont les autorités sont officiellement parvenues à maîtriser l'épidémie – semblent en désaccord avec le point de vue français. Lors d'une visite du vice-président de la Croix-Rouge chinoise Sun Shuopeng à Milan, le 19 mars, celui-ci avait décrit les mesures adoptées en Lombardie comme laxistes, et dit ne pas comprendre pourquoi les gens «se rassemblent dans les hôtels et ne portent pas de masques».

Un avis partagé par l'ensemble du continent asiatique, consterné par l'attitude des pouvoirs publics français si l'on en croit une enquête publiée par Le Monde le 21 mars. «Le port préventif du masque a contribué à juguler les contaminations dans les pays développés d’Extrême-Orient, où l’appel à ne pas en porter en France si l’on n’est pas malade est vu comme une grave erreur», écrit ainsi le quotidien. L'enquête du Monde s'appuie notamment sur l'exemple du microbiologiste Yuen Kwok-yung, qui conseille le gouvernement de Hong Kong, et qui, après s'être rendu à Wuhan (berceau de l'épidémie de Covid-19 dans le centre de la Chine) en janvier, a «immédiatement préconisé le port universel du masque du fait des caractéristiques du virus, très présent dans la salive».

Et il n'y a pas qu'en Asie que la position du gouvernement français interpelle : la médecin urgentiste française Sabrina AliBenali a ainsi prodigué des conseils à l'opposé des recommandations du ministère : «N’hésitez pas à porter des masques si vous en avez, même en tissu avec du "Sopalin" dedans. Que l’on soit clair, le masque c’est comme un confinement ambulatoire. Pour vous protéger et protéger les autres, n’hésitez pas à en mettre.»

Pas de pénurie de masques, vraiment ?

En adoptant une telle stratégie, le gouvernement espère donc être en mesure de répondre à une pénurie... qui n'existe pas, selon les pouvoirs publics. A en croire Olivier Véran, il y aurait un stock de 86 millions de masques, dont 5 de type FFP2. Or, il estime que la France a besoin de «24 millions de masques par semaine» et que les unités de production «sont capables [d'en] fabriquer 6 millions par semaine». La France serait donc en flux tendu si la crise s'éternise jusqu'à fin avril ou en mai, mais aurait de quoi équiper les personnels soignants.

C'est d'ailleurs ce qu'avait déjà assuré le secrétaire d'Etat à l'Intérieur, Laurent Nunez le 20 mars sur France 2, selon qui les masques sont «livrés très régulièrement». «Non, je ne reconnais pas qu'il en manque», avait-il avancé. Un mois plus tôt, lors d'une audition au Sénat, le directeur général de la Santé, Jérôme Salomon, avait tenu des propos similaires : «Il n’y pas de sujet de pénurie. Il y a des stocks stratégiques importants détenus par Santé publique France sur les masques chirurgicaux. On n’a pas d’inquiétude.»

Dans les faits pourtant, les soignants et les hôpitaux, au plus près des malades du Covid-19, alertent depuis plusieurs semaines sur le manque de matériel à leur disposition. Le collectif Inter-urgences a par exemple dénoncé le fait qu'on conseille aux urgentistes de Grenoble de «se confectionner leurs propres masques en tissu !»

Le président de la région Grand-Est et ex-chef des urgences de l'hôpital de Mulhouse Jean Rottner a aussi lancé le 19 mars sur Twitter un appel aux dons de masques FFP2 afin d'équiper «médecins et infirmières libéraux» : «J’ai besoin de vous. Si votre entreprise dispose de masques de type FFP2 et si dans un geste citoyen vous pouvez nous aider à équiper les médecins et infirmières libéraux.»

Le privé au secours du public

Dans tous les cas, le privé a, semble-t-il, pris la mesure de la crise en palliant les éventuelles erreurs de logistique du gouvernement. Le groupe de luxe LVMH a promis le 21 mars d'offrir dix millions de masques (dont trois millions de masques FFP2), d'une valeur de cinq millions d'euros. Bouygues va de son côté donner un million de masques chirurgicaux. Dans l'univers maritime, le Port du Havre a donné 80 000 masques et l'armateur CMA-CGM 100 000 masques FFP2 à l'Agence régionale de santé (ARS) d'Ile-de-France. La Fédération de l'industrie nautique a quant à elle battu le rappel pour inciter ses adhérents à ressortir les stocks de sécurité constitués en 2009 contre le virus de la grippe H1N1.

Olivier Véran a déclaré qu'il y aurait le 24 mars une réflexion avec le conseil scientifique pour une éventuelle «extension des modes de distribution des masques». Problème, la promesse de masques avait été également donnée aux soignants en février avant que certains d'entre eux constatent qu'il ne s'agissait là que d’un «mensonge». Un collectif de 600 soignants, C 19, a d'ailleurs dénoncé le fait qu'«une entreprise française produise des masques… mais pour le compte du ministère de la Santé britannique», qui aurait passé commande avant la France.

Une information confirmée par BFM TV le 21 mars, après avoir reçu des explications de députés français. Ceux-ci ont confessé, d'après la chaîne de télévision, que la Grande-Bretagne avait passé des commandes de masques «15 jours avant» la France et était donc prioritaire.


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