Le ballet de la crise grecque en 2015 filmé par Costa-Gavras
« Adults in the Room », sur Ciné+ Club : le ballet de la crise grecque en 2015 filmé par Costa-Gavras
Le cinéaste grec ne rechigne pas à la moquerie et n’épargne pas les dirigeants européens et leurs travers dans ce long-métrage de 2019.
Dans le champ, des images de la foule athénienne en liesse, au soir du 25 janvier 2015. En contrechamp, deux acteurs, filmés quatre ans plus tard. Ils ne sont désignés que par leurs prénoms, « Alexis » (Alexandros Bourdoumis) et « Yanis » (Christos Loulis), mais le voile de la fiction est assez léger pour que leurs patronymes – Tsipras et Varoufakis – s’imposent.
Dès la première séquence, le face-à-face entre le peuple et ses nouveaux dirigeants est observé de loin, sur un écran de télévision, par un regard bleu. De sa lointaine Allemagne, « Wolfgang » (Ulrich Tukur, dans le rôle de Wolfgang Schäuble, le ministre des finances d’Angela Merkel) promet l’apocalypse aux Grecs.
Adhérant à la version présentée par Varoufakis dans le récit qu’il fit des mois qui ont suivi cette soirée (Conversations entre adultes, Actes Sud, 2017), Costa-Gavras met en scène la dislocation de ce triangle, sous l’effet de la poussée exercée par l’un de ses côtés. Adults in the Room dépeint un gouvernement divisé, mené par un personnage au charme insondable, Alexis Tsipras, forcé de se plier aux exigences de l’Union européenne quant au refinancement de la dette publique grecque, malgré le rejet de celles-ci par l’électorat. Le lendemain, son ministre des finances démissionnait.
Alexandros Bourdoumis fait d’« Alexis » un type séduisant, qui garde toujours une carte dans sa manche, pendant que le « Yanis » de Christos Loulis est un mâle alpha, mû aussi bien par la conscience de sa supériorité que par la certitude de la justesse de sa cause.
Terre des héros
Le cinéaste se plaît à dépeindre un Varoufakis un peu plus grand que nature, chef d’une petite troupe qui gravit les sommets (européens, en l’occurrence) pour défendre son pays, la Grèce, qui est aussi la terre des héros. Tout au long du film, Costa-Gavras oscille entre la satire et la grandeur désespérée de cette moderne Anabase (Xénophon), avec pour seul ciment sa sainte colère.
Dans son précédent film (Le Capital, 2012), Costa-Gavras avait tenté de donner une forme cinématographique à l’emprise de l’argent sur le monde, utilisant les mécanismes du thriller avec un succès mitigé. Ici, il ne rechigne pas à la moquerie, n’épargne pas les dirigeants européens et leurs travers.
Le cinéaste prête bien des visages aux dirigeants européens, notamment les Français « Michel » Sapin et « Christine » Lagarde
Le cinéaste leur prête bien des visages, de la froideur fragile de « Jeroen » (Dijsselbloem, alors ministre des finances néerlandais), qui ne résiste pas à l’insolence grecque, à la solidarité de façade du socialiste français « Michel » (Sapin, qui occupait alors Bercy), en passant par l’impavidité de « Christine » (Lagarde, à la tête du FMI), la seule à bénéficier de l’indulgence du réalisateur grec. Au-dessus de cette petite foule, plane l’ombre du ministre allemand « Wolfgang », sur l’intransigeance duquel tous les compromis finissent par se briser.
Le résultat est imparfait, parfois empreint de gaucherie. Reste que cet épisode de l’histoire européenne méritait de rester dans l’histoire du cinéma de fiction, voilà qui est chose faite.
Adults in the Room, film de Costa-Gavras. Avec Christos Loulis, Alexandros Bourdoumis, Ulrich Tukur, Valeria Golino (Gr.-Fr., 2019, 124 min). Disponible à la demande sur MyCanal.
Par Thomas Sotinel