Que les forces de paix puissent se lever !

Horreur d'un conflit où chaque porte entrebâillée pour trouver une solution politique fut bruyamment claquée depuis 2012.

La rage de se sentir si impuissant face au carnage perpétré à Alep nous envahit. Un immense crime de guerre commis par l'armée sanguinaire de Bachar Al Assad, des milices venues du Liban, d'Iran, d'Irak aux forces décuplées par les aveugles bombardements de l'armée russe réduisent des milliers de nos semblables, êtres humains, en blessés agonisants, en lambeaux de chair, dans une ville devenue fantomatique.

Oui, Alep, l'une des plus anciennes cités du monde, phare de l'Orient, carrefour de la civilisation, de la culture, des échanges et du commerce, est réduite en cendres. La victoire de la coalition qui s'est formée autour du régime de Bachar Al Assad, avec l'Iran et la Russie au milieu des décombres et cadavres d'Alep, est un événement d'une douloureuse et considérable portée qui rebat les cartes du Moyen-Orient et place l'humanité devant un sentiment d'horreur que l'on espérait ne plus avoir à éprouver.

Horreur d'une guerre longue et terrible, point d'orgue d'un conflit plus large qui embrase l'ensemble de la région, piloté depuis l'extérieur, et dans lequel chaque porte entrebâillée pour dégager une perspective politique a été bruyamment claquée depuis 2012.
Les dizaines de milliers de morts et les corps mutilés, les millions de Syriens poussés à l'exode, la naissance d'un monstre baptisé « État islamique » en 2014, les attentats perpétrés en Europe et en France sont autant de conséquences dramatiques de l'enlisement d'un conflit alimenté par les atermoiements diplomatiques des pays occidentaux et le jeu cynique des puissances régionales. Aucun bombardement n'est acceptable, pas plus à Alep qu'au Yémen ou ailleurs. Et la propagande de guerre ne pourra jamais le justifier !

Chacune des parties abreuve les opinions mondiales de propagande et de contre-propagande, accusant l'autre de désinformation, usant des ressorts d'Internet pour imposer un point de vue unilatéral sur un conflit d'une très grande complexité, dans un théâtre de guerre rendu invisible. Difficile dans ces conditions pour les journalistes de faire leur travail et pour les citoyens de procéder à un examen lucide de la situation.

Le peuple syrien vit depuis cinq ans un martyre inacceptable auquel il faut d'urgence mettre un terme. Voilà le constat unanime à partir duquel il faudrait, et il aurait fallu dès 2012, raisonner. Dans ces conditions, l'émotion, aussi légitime soit-elle, irrépressible aussi par moments, doit s'accompagner de l'analyse politique nécessaire pour engager une logique de paix durable. La paix est une construction politique et non un agrégat de bons sentiments.
Cette construction doit s'effectuer à partir du réel et non de projections idéalistes sur le Moyen-Orient. La géopolitique est une physique des forces qu'il est vain de vouloir enjamber. C'est pourtant ce à quoi se sont employées les chancelleries occidentales en lançant un pari hasardeux sur la chute de la dictature baassiste. Pour forcer le destin, les États-Unis comme la France n'ont pas hésité, avec l'appui des monarchies théocratiques du Golfe et de la Turquie, à financer et encadrer des milices intégristes parmi les plus violentes de la région, bien incapables d'envisager un quelconque processus politique pour sortir la Syrie du chaos et qui n'ont rien à envier, dans leurs méthodes et par les exactions commises, à leurs frères ennemis du prétendu « État islamique ». Cette stratégie fut une impasse politique.

La Syrie est un rouage crucial du fragile équilibre confessionnel et ethnique du Moyen-Orient. Il était par conséquent absurde de penser pouvoir faire entrer ce pays et ce peuple dans la sphère d'influence saoudienne ou qatarie et de mettre la Russie comme l'Iran devant le fait accompli d'un changement majeur de la géopolitique régionale au profit du Golfe et de leurs alliés occidentaux. Dire cela ne justifie en rien la brutalité sauvage de l'intervention de ces deux nations. Il s'agit de tenter de comprendre pour contribuer à ramener la paix.
Preuve d'un fragile équilibre et de la complexité des rapports de forces, certaines milices chiites qui combattent avec le régime de Damas à Alep et l'appui de Moscou sont les mêmes qui combattent aux côtés des Occidentaux à Mossoul.

Au Yémen, une coalition internationale sous égide de l'Arabie saoudite, armée par les ÉtatsUnis, la France, le Royaume-Uni, l'Espagne, l'Italie ou encore les Pays-Bas, bombarde sans relâche la rébellion, avec une violence similaire à celle qui s'abat à Alep, sans que personne ou presque ne s'en émeuve. Intolérable, dans un cas comme dans l'autre !

Il n'y a donc « ni gentils ni méchants », mais une guerre qui se déploie sur différents terrains sur fond de contrôle des ressources énergétiques et de rivalités de puissances impérialistes, dans un camp comme dans l'autre. Ce sont les peuples, et d'abord celui de Syrie, qui payent la terrible facture. Cette guerre d'intérêts prend par exemple la forme de la cession, formalisée il y a deux semaines, de 19,5 % du géant russe des hydrocarbures Rosneft au fonds souverain qatari pour l'acheminement via la Syrie et la Turquie des ressources gazières vers l'Europe. Ceci a des conséquences précises sur les rapports entre les forces en présence.

La Russie, la Turquie et l'Iran se sont ainsi affirmés dans le fracas terrible des armes comme des acteurs incontournables de la résolution du conflit. C'est à partir de cette réalité que la France doit agir, pour garantir le droit des minorités régionales, notamment kurdes, et offrir à la majorité sunnite une reconnaissance politique. Elle doit le faire dans le cadre des discussions ouvertes à Genève depuis 2012 sous égide des Nations unies, et qui, si elles avaient été menées à bien, auraient permis une sortie de crise sans humiliation pour aucune des parties et d'éviter tant de drames humains. Cette guerre, qui a déjà semé tant de graines empoisonnées du ressentiment et de la haine, doit se terminer. Il est toujours temps d'agir! Que les forces de paix, que celles de la politique et de la diplomatie puissent se lever ! Tel est notre voeu le plus cher en cette période qui ne devait être consacrée qu'à la fête et à la joie.

Patrick le Hyaric


:

Poste similare


Photos de l'article

Video de l'article