Assassinat de Dilek DoÄŸan : simulacre de justice ?
Le 8 mars 2017, s’est tenu à la douzième Haute Cour criminelle du palais de justice de Caglayan à Istanbul la sixième audition du procès de Dilek DoÄŸan, assassinée chez elle par un policier, le 18 octobre 2015, lors d’une opération ‘anti-terroriste.’
Issue de la communauté Alévie, Dilek DoÄŸan, jeune fille de 25 ans, habitait dans le quartier populaire de Küçük Armutlu. La perquisition, effectuée dans le cadre d’une opération ‘anti-terroriste’, a eu lieu sous le prétexte de rechercher le suspect d’un attentat s’étant déroulé près de l ‘Ambassade des États-Unis, quelques temps auparavant et ayant été repéré dans le quartier. Dilek est restée huit jours en soins intensifs à l’hôpital d’Okmeydanı où elle est décédée le dimanche 25 octobre.
Selon le témoignage de ses parents et comme le confirmera plus tard la vidéo, lorsque les policiers ont pénétré dans le domicile familial, la jeune fille leur a demandé de ne pas entrer avec leurs chaussures. Les agents ont refusé et a débuté une altercation au cours de laquelle un policier a tiré à bout portant sur Dilek DoÄŸan, la blessant gravement à la poitrine.
Les agents ont alors appelé leur hiérarchie afin de prévenir qu’une personne avait été accidentellement blessée et ont déclaré avoir été en légitime défense. Et, plutôt que d’appeler les secours ou de transporter la victime à l’hôpital, ils ont ensuite tenté d’effacer les traces de l’accident...
Dans un communiqué diffusé 32 heures après les faits, les services de police affirment quant à eux que la jeune fille a été touchée au moment où un membre de la famille aurait tenté de prendre l’arme de la personne « chargée de la sécurité de l’opération ».
Le décès de la jeune fille a été diffusé sur tous les réseaux sociaux, provoquant une vive émotion et de multiples réactions. Et à quelques jours des élections législatives anticipées, le drame fut repris par les opposants au pouvoir en place. Selahattin Demirtas, chef du HDP (parti de la démocratie des peuples, prokurde) a affirmé : « vous verrez, il n’y aura ni procès, ni enquête ». Ce à quoi, Numan Kurtulmus, vice-Premier ministre, a répondu que « s’il y a eu une faute, elle sera rendu publique et les sanctions appropriées seront prises ».
Quoi qu’il en soit, selon le quotidien Cumhuriyet, au moment des faits, le Procureur de la République n’a pas recueilli les témoignages des membres de la famille présents sur les lieux, ni identifié le policier responsable du drame.
Et que penser du Tribunal qui, le 23 octobre, sous couvert d’appel au calme, prend une décision de « secret et restriction » afin de ne pas permettre « la possibilité de prendre copies des pièces, par les suspects, les avocats des suspects, et les autres intéressés à l’enquête”. Peut-on y voir là une volonté déguisée de bloquer l’accès aux informations concernant l’enquête... ?
Deux ans après, une preuve irréfutable...
En novembre 2015, débute le procès. Pour raison de sécurité, et sur décision du juge, il n’est pas ouvert au public. Cinquante avocats défendent la famille DoÄŸan. Le juge a statué sur un « homicide volontaire », et la peine encourue par le policier est de 20 à 26 ans de prison ferme.
L’audience du 8 mars dernier, la sixième du procès, a débuté en visionnant les images vidéo du drame, en présence de la famille de Dilek. Cette vidéo, filmée par une caméra de la police, avait été effacée par les services de police eux-mêmes. Et c’est le laboratoire criminel de la gendarmerie qui a pu les récupérer. Deux ans après les faits, elle a été présentée comme preuve. On peut y visionner le début de la perquisition et y voir sans aucun doute possible un agent des opérations spéciales tirer sans raison sur la jeune fille.
Cependant, lors de son réquisitoire, le procureur a déclaré que le policier a tué par « négligence intentionnelle » et requiert à ce titre une peine pouvant aller de 2 à 6 ans de prison ferme. Suite aux conclusions du procureur, le tribunal a reporté à une prochaine audience qui aura lieu le 17 mars 2017.
N’oublions pas malheureusement que le drame du 18 octobre 2015 n’est pas un cas isolé. En effet, plusieurs personnes ont été assassinées par la police turque. Et malgré les preuves, les images vidéo et les témoignages de témoins, les procès n’ont pas rendu la justice qui s’imposait.
Pour l’assassinat de Dilek DoÄŸan, si le procureur de la République ose réclamer une peine de 2 à 6 ans de prison ferme, et ce malgré la preuve irréfutable que représente la vidéo, on peut alors craindre, encore une fois, que le policier meurtrier sera acquitté comme à l’issue de tous les procès qui ont lieu actuellement en Turquie...
Béatrice Taupin
Dogan Presse