Il y a dix ans, une grande dame de la Résistance française ”¨nous quittait...

Le 14 mars 2007, à l’âge de 94 ans, disparaissait Lucie Aubrac, l’une des dernières héroïnes de la Résistance française durant l’occupation. Militante engagée et militante de la mémoire, vice-présidente d'honneur de la Fondation de la Résistance, elle consacra le restant de sa vie à en transmettre les valeurs aux jeunes de son époque. Portrait de cette femme exceptionnelle.

Le 8 mars dernier, le monde fêtait la Journée internationale des femmes, si l’on se réfère à l’appellation de l’ONU, de l’Unesco et de l’Unicef. Mais il ne faut pas y voir là, comme beaucoup le font, qu’une volonté simpliste d’affirmer un positionnement égalitaire des femmes par rapport aux hommes. Elle participe également au devoir de mémoire de ces femmes ordinaires qui par des actes extraordinaires ont participé à la construction de l’Histoire. Et Lucie Aubrac en fait partie intégrante car, si tout la prédisposait à une vie "sans histoires" d’enseignante, ses activités de Résistante et de militante qui ont marqué sa vie, ont joué un rôle essentiel dans la lutte pour la Liberté durant cette période trouble qu’était l’occupation de la France par l’Allemagne nazie. Comme elle aimait à le dire elle-même : "Sans les femmes, la Résistance ne pouvait rien faire." Et elle en fut l’incarnation par un engagement de chaque jour où sa capacité à se révolter trouvait son essence dans un courage hors norme ("Il faut savoir être fou" disait-elle) qui fit d’elle l’une des personnalités marquantes de la Résistance. Elle reste une référence historique et un modèle pour la cause des femmes. ”¨
Elle est l’auteur notamment de "Ils partiront dans l'ivresse" (1984) dans lequel elle relate ses souvenirs de résistance, et de "Cette exigeante liberté" (1997).
”¨Le réalisateur Claude Berri, la fait connaître au grand public et lui rend hommage en 1997 avec son film "Lucie Aubrac" en portant à l’écran l’arrestation à Caluire des dirigeants de la Résistance dont son mari. Cet épisode est l’un des plus marquant de son activité. ”¨
Mais revenons sur la vie de cette grande figure de la Résistance, malheureusement méconnue de beaucoup.

Détermination et audace, deux qualités qui la caractérisaient
Issue d’une modeste famille de vignerons bourguignons, Lucie Aubrac est née le 29 juin 1912 dans le XIVe arrondissement de Paris. Elle réussit le concours d’entrée à l’École Normale d’institutrice à 17 ans. Face à la montée du fascisme en Europe, elle adhère aux Jeunesses communistes et est confrontée à la réalité du nazisme lors d’un voyage à Berlin à l’occasion des jeux olympiques de 1936. Elle fréquente alors des associations pacifistes et étudiantes et débute son engagement militant qu’elle poursuit parallèlement à des études d’histoire. Elle obtient sont agrégation d’histoire et géographie en 1938 et devient professeur à Strasbourg où elle rencontre Raymond Samuel, qu'elle épouse le 14 décembre 1939 alors que la seconde guerre mondiale a déjà éclaté.”¨ Raymond Samuel, ingénieur des Ponts et Chaussées, est mobilisé comme officier du génie puis fait prisonnier par l'armée allemande à Sarrebourg en Moselle fin juin 1940. Il parviendra à s’échapper grâce à Lucie, fin août 1940. Ce sera la première des trois grandes évasions qu’elle organisera pour son mari.
À l'automne 1940, alors que le régime de Vichy s’est installé et que le premier statut contre les juifs est adopté, l’université de Strasbourg s’installe à Clermont-Ferrand, en zone libre. Elle forme le premier noyau de Résistance anti-nazi et anti-vichyste, La dernière colonne, avec le philosophe Jean Cavaillès, le journaliste Emmanuel d’Astier de la Vigerie et l’homme d’affaires Georges Zérapha. Ils éditent un journal clandestin Libération, arme de propagande et prélude à Libération-sud, l’un des premiers mouvements de résistance.
À partir de 1941, les Aubrac s’installent à Lyon, sous le nom de Samuel, et Lucie enseigne au lycée de jeunes filles Edgar Quinet. Entre ses cours, elle effectue diverses activités clandestines telles que la fabrication de faux papiers, des opérations de tractage et de recrutement. Elle participe également à l’organisation d’évasions, d’opérations de sabotage ou aide des résistants à franchir la ligne de démarcation. ”¨
Après son arrestation à Lyon par la police de Vichy, le 15 mars 1943, son mari, adjoint au général Delestraint, chef de l'Armée secrète, est incarcéré à la prison Saint-Paul sous le nom de François Vallet. Une vingtaine de personnes sont arrêtées avec lui. Lucie Aubrac fait alors pression sur le procureur de la République en lui tenant les propos suivants : "Je représente ici l’autorité du général de Gaulle, qui est le chef de Vallet. Si demain, au palais de justice, vous ne signez pas favorablement sa mise en liberté, si le 14 au matin Vallet n’est pas libre, vous ne verrez pas le soleil se coucher le 14 au soir". Peu de temps après, un commando du  mouvement Libération dont fait partie le couple Aubrac organise, en se faisant passer pour des agents de la Gestapo, l'enlèvement de trois résistants détenus à l'Hôpital de l'Antiquaille (Kriegel Valrimont, Serge Ravanel et François Morin) puis de quatre détenus à l'hôpital de Saint-Étienne. ”¨
Le 21 juin 1943, Jean Moulin, chef du Conseil national de la Résistance (CNR) et sept autres responsables, dont Raymond Aubrac, se font arrêter à Caluire. Au siège de la Gestapo lyonnaise, ils sont interrogés sous la torture par Klaus Barbie, officier SS, surnommé le "boucher de Lyon". Lucie va le voir en personne et parvient à le tromper afin de pouvoir entrer en contact avec son mari pour lui faire parvenir les plans de l’évasion. Le 21 octobre 1943, enceinte, elle organise une évasion spectaculaire. En plein jour, les armes à la main, elle mène une opération commando contre la camionnette de la Gestapo dans laquelle sont transférés Raymond Aubrac et treize autres résistants.”¨
Recherché par toutes les polices allemandes et vichystes, le couple rentre alors dans la clandestinité avant de pouvoir rejoindre Londres.

Militantisme et devoir de mémoire
En juillet 1944, elle participe à la mise en place des Comités de libération dans les zones libérées puis rejoint son mari, Commissaire régional de la République (préfet) à Marseille. En janvier 1945, Raymond Aubrac doit quitter son poste et s'installe à Paris avec Lucie qui siège à l'Assemblée consultative en représentation du Mouvement de libération nationale. Elle est également membre du jury de la Haute Cour de justice du procès Pétain.
Elle reprend alors son métier d’enseignante mais n’arrête pas pour autant son action militante. Elle rejoint les rangs du Réseau Femmes pour la Parité et milite pour Amnesty international et la Ligue des Droits de l’Homme. La décolonisation, l’évolution de la condition féminine, les problèmes de sociétés dont celui des sans-papiers sont ses chevaux de bataille. Elle est également vice-présidente d'honneur de la Fondation de la Résistance.
Mais surtout, dans un souci de devoir de mémoire, elle se rend dans les collèges et lycées de la France entière pour témoigner aux jeunes générations des années noires de la Collaboration qui s’opposèrent aux valeurs de solidarité, de fraternité et de justice incarnées dans les combats de la Résistance.
Les honneurs militaires ont été rendus dans la cour d'honneur des Invalides à cette figure emblématique de la Résistance française, qui avait été à maintes reprises décorée par la Nation : Grand officier de la Légion d’honneur, Grand-Croix de l’ordre national du Mérite, Croix de guerre 1939-1945, Médaille de la Résistance avec rosette, Commandeur des Palmes académiques. Et Jacques Chirac, chef d’État de l’époque dira d’elle : "Certains êtres d’exception portent au plus haut les valeurs essentielles de l’humanité. Esprit de résistance, courage, patriotisme, amour des siens : Lucie Aubrac, c’est certain, était l’une de ces très grandes figures."

Alors que nous vivons actuellement dans un monde en pleine déroute, où surgissent des conflits internationaux et où tous les jours les Droits de l’Homme sont bafoués. Alors que le totalitarisme semble prendre un essor inquiétant dans des pays qui jusqu’ici paraissaient en être épargnés et où d’autres deviennent progressivement des états policiers. Alors que nous assistons de plus en plus aux signes précurseurs de la montée de l’extrême droite intégriste avec un développement important des mouvements nationalistes, associés aux facteurs alarmants qui en découlent tels que, entre autres, la suprématie militaire, l’obsession de la sécurité nationale, le contrôle des médias de masse, le mépris de l’intelligentsia et des arts ainsi que la montée du sexisme, les paroles de Lucie Aubrac résonnent encore à nos oreilles et conservent tout leur sens. Déjà dans ses témoignages, elle adaptait le passé résistant au présent de son auditoire. Comment ne pas vouloir prendre pour modèle cette femme qui a poussé jusqu’à l’extrême l’esprit de résistance avec une volonté indestructible de ne jamais s’incliner... ?
Et son crédo "Résister doit toujours se conjuguer au présent" prend aujourd’hui plus que jamais une ampleur incontestable !

Béatrice Taupin
Dogan Presse


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