Turquie : un référendum sur la peine de mort contraire aux « valeurs » européennes
L’organisation d’un tel vote constituerait « une rupture » avec les engagements pris par la Turquie dans le cadre du Conseil de l’Europe, prévient l’Elysée.
Après la courte victoire du oui au référendum accordant des pouvoirs accrus au président Recep Tayyip Erdogan, l’Elysée craint la tenue d’un nouveau vote sur la peine de mort en Turquie. Cela constituerait « une rupture avec les valeurs » européennes, écrit la présidence française dans un communiqué, lundi 17 avril :
« Les valeurs et les engagements pris dans le cadre du Conseil de l’Europe devraient conduire les autorités turques à conduire un dialogue libre et sincère avec toutes les composantes de la vie politique et sociale. »
Le président turc a en effet évoqué dimanche soir la possibilité d’organiser un référendum sur le rétablissement de la peine de mort. Après le vote de dimanche, la France « prend note des contestations émises et suivra avec la plus grande attention les évaluations du scrutin effectuées par le Conseil de l’Europe et l’OSCE », poursuit le communiqué.
Résultats contestés
L’Union européenne (UE) aussi « attend l’évaluation » des observateurs internationaux « quant aux irrégularités [dans le scrutin] évoquées » par l’opposition turque, qui craint une dérive autoritaire. Le vice-président du CHP (social-démocrate), Bülent Tezcan, a réclamé lundi « l’annulation du scrutin par le Haut Conseil électoral », selon l’agence de presse Dogan.
« Au vu du résultat serré du référendum et des implications profondes des amendements constitutionnels, nous appelons […] les autorités turques à rechercher le consensus national le plus large possible dans leur mise en œuvre », ont écrit dimanche dans un communiqué commun le président de la Commission de l’UE, Jean-Claude Juncker, la chef de la diplomatie européenne, Federica Mogherini, et le responsable de l’élargissement de l’UE, Johannes Hahn.
Le président Erdogan a placé les relations avec l’Union européenne au cœur de la campagne, critiquant Bruxelles pour l’absence de progrès dans les discussions en vue de l’intégration de la Turquie et usant du qualificatif de « nazi » à l’égard de l’Allemagne et des Pays-Bas, qui ont interdit des meetings électoraux aux communautés turques sur leur territoire.
L’UE prévient dans son communiqué que « les amendements constitutionnels, et particulièrement leur application concrète, seront évalués à la lumière des obligations de la Turquie en tant que candidate à l’Union européenne et en tant que membre du Conseil de l’Europe ».
« Nous encourageons la Turquie à prendre en compte les inquiétudes et les recommandations du Conseil de l’Europe, y compris au sujet de l’état d’urgence », poursuit le communiqué.
Indépendance du système judiciaire
Le Conseil de l’Europe, qui comprend les vingt-huit membres de l’Union européenne et la plupart des autres pays européens, suit notamment l’évolution des droits humains, autre sujet conflictuel avec la Turquie, l’UE ayant signifié à plusieurs reprises à Ankara son inquiétude quant aux purges massives déclenchées par le président Erdogan après le coup d’Etat manqué de juillet 2016.
Dans un communiqué, le Conseil de l’Europe a également réagi dimanche soir au résultat de ce référendum : « Etant donné le résultat serré, le pouvoir turc doit envisager les prochaines étapes avec prudence, a mis en garde le secrétaire général de l’organisation paneuropéenne, Thorbjorn Jagland. Il est de la plus grande importance de garantir l’indépendance du système judiciaire conformément au principe de l’Etat de droit inscrit dans la Convention européenne des droits de l’homme. »
« Dialogue respectueux » avec l’opposition
« Le gouvernement [allemand] attend que le gouvernement turc, après une campagne électorale dure, cherche maintenant un dialogue respectueux avec toutes les forces politiques et dans la société », a souligné quant à elle la chancelière, Angela Merkel, dans une courte déclaration conjointe avec son ministre des affaires étrangères, Sigmar Gabriel. Dans l’attente des premières évaluations des observateurs de l’OSCE et du Conseil de l’Europe sur le déroulement du scrutin, elle a rappelé « les sérieux doutes » exprimés par ces institutions.
De son côté, le premier ministre danois, Lars Lokke Rasmussen, a été beaucoup plus direct sur son compte Twitter, estimant « étrange que la démocratie serve à limiter la démocratie ».
« Je ne remets pas en cause le droit de la majorité, mais je suis assez préoccupé par la nouvelle réforme constitutionnelle en Turquie », a ajouté le chef du gouvernement danois.
Le ministre des affaires étrangères autrichien, Sebastian Kurz, a estimé que le référendum turc sur la réforme constitutionnelle devait conduire l’Union européenne à faire preuve de « franchise » et à stopper les négociations d’adhésion de la Turquie. « Après le référendum turc, nous ne pouvons pas simplement revenir aux affaires courantes », a écrit le chef de la diplomatie autrichienne dans un tweet.
« Nous devons stopper les négociations d’adhésion à l’UE et travailler, à la place, à l’établissement d’un accord de voisinage avec la Turquie », a-t-il poursuivi, après avoir estimé la veille que le résultat de la consultation donnait l’image d’un « pays divisé ».