Ankara : soixante-treizième jour de résistance…
Ankara. 20 Mai 2017. Nuriye Gülmen et Semih Özakça sont devenus les symboles de la résistance au régime répressif du président turc, Recep Tayyip ErdoÄŸan. Chaque jour et ce, depuis maintenant 73 jours, ils se rendent, de plus en plus difficilement, mais avec une volonté farouche, sur la place Yüksel devenue leur lieu de « protestation », afin de revendiquer la réintégration de leur poste au sein de l’Éducation nationale.
Selon un dernier bilan, dans le cadre des purges politiques menées par le gouvernement turc, 15 200 enseignants ont été suspendus, 21 000 employés de l'éducation privée ont perdu leur licence et les 1 577 doyens des universités publiques et privées ont été mis à pied. Enfin, 1 043 écoles privées et 15 universités ont été fermées. Nuriye Gülmen, chercheure à l’Université de Selçuk, et Semih Özakça, instituteur à l’école primaire Cumhuriyet de MazdaÄŸ à Mardin sont des victimes de ces représailles. Semih a été limogé par le décret n° 675 du 29 septembre 2016 et Nuriye, quant à elle, a vu son nom apparaître dans le décret n° 679 paru au Journal Officiel le 6 janvier 2017. Is se sont alors révoltés contre la vague de licenciement, contre l’état d’urgence et contre la répression. Depuis le 11 mars, ils ont entamé une grève de la faim qui les a inexorablement menés vers une dégradation alarmante de leur état de santé. Depuis 73 jours, ils résistent en ne s’alimentant que d’eau sucrée ou salée. Nuriye a déjà perdu neuf kilos et Semih, quinze… Veda Bulat, président de la chambre professionnelle des médecins à Ankara constatent qu’ « ils souffrent de troubles de la perception, de difficultés d’élocutions, de problèmes physique » dans l’indifférence et l’ignorance feinte des médias locaux et du gouvernement turc.
Nombres de représentants politiques comme des députés de l’opposition CHP (Le Parti Républicain du Peuple) et du HDP (Parti démocrate des peuples pro kurdes) ou l’eurodéputé Gianni Pitalla, chef du groupe Socialistes et Démocrates du Parlement européen, se sont rendus sur place afin de soutenir leur combat. Et c’est également le cas des familles des grévistes ainsi que des représentants d’ONG et de syndicats qui chaque jour, se relaient à leurs côtés. « La Turquie mérite une démocratie pleine et entière et je suis ici pour partager leur combat », a déclaré Gianni Pitella ajoutant également : « Nous nous battrons pour la Turquie ».
À plusieurs reprises, leur espace de résistance sur l’avenue Yüksel a été évacuée par les forces de police qui n’hésitent pas à confisquer les bannières, les pancartes et les fleurs. Jeudi, un rassemblement organisé en soutien aux deux grévistes de la faim a été dispersé, entraînant l’arrestation de 12 personnes. Un appel à une grève générale de la faim a été lancé dans tout le pays pour la journée du 20 mai afin de soutenir toutes les personnes limogées dans le cadre des purges politiques menées par le gouvernement en place. Les personnes solidaires porteront un masque de protection respiratoire blanc.
Selon Selçuk KozaÄŸaçlı, président du ÇDH, l’Association des juristes contemporains, « Les efforts, l’insistance de Nuriye et Semih, font entendre la voix de tous les travailleurs du secteur public qui sont licenciés à tort, et qui sont condamnés au chômage, au fichage et à la mort sociale et économique. » Les réseaux sociaux se sont heureusement emparés de la situation pour la diffuser le plus largement possible afin de soutenir les grévistes de la faim dans leur lutte. Mais tout ceci semble paraître très lointain pour les pays alentours et pourtant… La lutte contre les injustices, quelles qu’elles soient, se doit de rester une cause internationale. C’est un devoir humanitaire que de briser le mur du silence qui répond aux cris silencieux et pacifistes de Nuriye et Semih. Il est indispensable d’interpeller les gouvernements qui s’enferment dans un mutisme intolérable alors qu’une grève de la faim reste avant tout, ne l’oublions pas, l’ultime recours pour se faire entendre…
Béatrice Taupin
Dogan Presse