Mathias Depardon, journaliste français incarcéré en Turquie, a arrêté la grève de la faim

Arrêté le 8 mai en Turquie, le photographe français Mathias Depardon avait commencé une grève de la faim pour protester contre sa détention. Reporters sans frontières et d’autres organismes de défense de la liberté de la presse réclament sa libération.

Mathias Depardon, photographe de National Geographic, basé à Istanbul, a été arrêté en prenant des photos dans la nouvelle région de colonisation de Hasankeyf, Batman dans le sud-est de la Turquie. Il avait fréquenté régulièrement la région aux cours des quatre dernières années et a récemment travaillé sur un projet de plus grande envergure pour National Geographic. Quelques jours auparavant, il avait effectué un reportage sur le Tigre et l’Euphrate, traversant les nombreux barrages policiers sans encombres.

Arrêté à un poste de contrôle le 8 mai, ses appareils et carte mémoires ont été confisqués. Et selon la procédure en vigueur maintenant dans le pays, les policiers ont exigé les codes d’accès de ses comptes Intagram, Facebook et Twitter. Depuis cette date, le photojournaliste français de 37 ans qui a vécu et travaillé en Turquie pendant 5 ans, est détenu sans explications dans un centre de détention de migrants clandestins géré par la Direction des affaires migratoires à Gaziantep, non loin de la frontière syrienne. La raison proviendrait de sa carte de presse qui ne serait plus à jour suite à une demande de renouvellement non aboutie, ce qui peut conduire à son expulsion du pays. Bien que la procédure soit respectée et qu’une ordonnance à cette fin ait été délivrée le 11 mai, il est encore détenu en Turquie. Et ceci car il est maintenant accusé par le gouvernement du pays de se livrer à des actions de propagande du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan) sur les réseaux sociaux. La police a en effet trouvé sur son compte Instagram une photo de recrues féminines kurdes en tenue de combat avec la légende « femmes du PKK », photo prise dans le cadre d’un reportage effectué dans le nord de l’Irak en 2014. « L’accusation de contact avec l’organisation classée comme terroriste par la Turquie pourrait conduire à une procédure judiciaire, or le parquet n’a poursuivi aucune action contre Depardon », indique Erol Onderoglu, représentant de Reporters sans frontières (RSF) à Istanbul. À cela, il ajoute que « cela laisse à penser que les autorités turques se servent de la carte des journalistes comme moyen de pression supplémentaire sur les Européens pour rappeler la qualification du PKK comme organisation terroriste. »

Dans une déclaration conjointe, RSF, deux autres organisations de défense de la liberté de la presse et dix-neuf rédactions, ont envoyé une lettre ouverte au ministre turc de l’Intérieur, Süleyman Soylu, appelant à la libération de Mathias Depardon : « le journaliste est laissé sans explications quant aux raisons du prolongement de sa détention. Cette absence d’informations nous inquiète de plus en plus et nous vous demandons respectueusement d’autoriser les diplomates français à venir lui rendre visite. »

Jeudi matin, la mère de Mathias Depardon, accompagnée du secrétaire général de RSF s’est présentée devant l’ambassade turque à Paris pour réclamer la « libération immédiate » de son fils mais sa demande est restée sans réponse. Et la police est intervenue pour éloigner les participants à cette action organisée par l’association.

Ce même jour, au cours d’un entretien en marge du sommet de l’Otan à Bruxelles, Emmanuel Macron est intervenu en faveur du journaliste auprès du président turc, Recep Tayyip Erdogan qui a affirmé « qu’il examinerait rapidement la situation ». De son côté, Jean-Yves Le Drian, ministre des affaires étrangères français devrait contacter par téléphone, son homologue turc, Mevlüt Çavusoglu, dans les jours à venir.

Depuis le mercredi 24 mai, le journaliste français avait entamé une grève de la faim pour protester contre sa détention arbitraire. Longtemps confiné en cellule d’isolement, il semblerait qu’il n’ait pas subi de mauvais traitements mais il n’avait le droit de joindre qu’une seule personne, son avocate, Emine Seker. Aucun contact direct, que ce soit des visites ou des communications téléphoniques n’était autorisé ce qui va à l’encontre des règles de la protection consulaire admise entre les pays mais l’état d’urgence décrété en Turquie depuis le putsch raté de juillet 2016 autorise désormais ce genre d’entorse aux usages diplomatiques en vigueur. En revanche, il serait dans une cellule individuelle avec une autorisation de sortie deux fois par jour. Cependant, alors qu’il demandait de quoi écrire, il a reçu une feuille, mais sans stylo... Et il y a quelques jours, selon une source diplomatique, les informations étaient les suivantes : « Mathias n’est plus à l’isolement, mais sa situation n’est pas bonne ». Or, il semblerait que l’intervention du président français n’ait pas été vaine. En effet, vendredi soir, le journaliste a appris la visite du consul adjoint d’Ankara, Christophe Hemmings, dans l’après-midi de samedi, « dans le cadre de la protection consulaire demandée par le ministre des Affaires étrangères ». Il a donc mis fin à sa grève de la faim. « Cela ne veut rien dire sur l'issue finale, mais ce sont des signaux positifs » a réagi Reporters sans frontières qui a également indiqué sur Twitter : « la mobilisation doit être maintenue jusqu’à la libération de #mathiasdepardon ».

Dans ce pays qui occupe la 155e place sur 180 au classement mondial 2017 de la liberté de la presse de Reporters sans frontières, il devient de plus en plus difficile d’exercer le métier de journaliste. Depuis la tentative de coup d’état de 2016, les conditions de travail se sont dégradées pour les journalistes étrangers qui font état d’arrestations, d’expulsions et de difficultés administratives. Mais pour les journalistes turcs, la situation est incontestablement plus dramatique. Dans le cadre des purges massives qui ont débuté il y a plusieurs mois mais qui prennent une ampleur démesurée, et sous couvert d’être accusé de « soutien au terrorisme », 105 journalistes sont emprisonnés, 777 cartes de presse ont été annulées et plus de 170 organes de presse ont été fermé.”¨ Les 27 et 28 mai, RSF a lancé une opération de soutien à Paris avec l’artiste de street art C215 en réalisant sur du mobilier urbain le portrait de dix journalistes turcs emprisonnés. Plus de 500 pochoirs #SaveTurkishJournalists ont été distribués afin de « permettre à chacun de manifester sa solidarité et son soutien aux journalistes emprisonnés en Turquie. » indique RSF dans un communiqué. Et selon Christophe Deloire, son secrétaire général : « La Turquie est aujourd’hui la plus grand prison du monde pour les journalistes. Plus de cent reporters sont en détention provisoire dans des conditions extrêmement sévères, dans le cadre de procédures absurdes. » Et de poursuivre : « nous afficherons dans l’espace parisien les visages de celles et ceux qu’Erdogan veut fait taire. Une façon de montrer qu’on ne les oublie pas et de mobiliser les citoyens et les décideurs en leur faveur. »

Béatrice Taupin”¨
Dogan Presse


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