HÍ´pital de Numune Í Ankara : atteinte aux droits de la Santé pour Nuriye Gͼlmen
Le docteur Benan Koyuncu, membre de la Chambre de médecine d’Ankara (ATO) a tenu une conférence de presse suite à la visite qu’il a effectué le 5 octobre, dans le service de soins intensifs de l’hôpital Numune où se trouve Nuriye Gülmen, professeur en grève de la faim depuis 213 jours.
Nuriye Gülmen et Semih Özakça sont deux enseignants en grève de la faim depuis 213 jours pour récupérer leurs emplois perdus lors des purges qui sévissent en Turquie. Deux audiences de leur procès ont déjà eu lieu dans des conditions où tout a été mis en œuvre pour limiter leurs droit à la défense. Leurs avocats ont été incarcérés et pour l’empêcher d’être présente et d’assurer sa plaidoirie, Nuriye a été hospitalisée de force en service de soins intensifs à l’hôpital Numune d’Ankara.
Violation de la vie privée des patients
La Cour européenne des droits de l’homme, lorsqu’elle avait notifié son refus de libérer les deux enseignants au mois d’août, avait cependant bien précisé que les prisonniers ne pouvaient pas continuer à vivre sans assistance et demandait également au Gouvernement « de faire en sorte que des dispositions adéquates soient prises pour aider les requérants dans leurs besoins quotidiens » et « de permettre aux requérants de consulter les médecins de leur choix à l’hôpital de la prison, s’ils le souhaitent, de manière à leur permettre de décider de poursuivre ou non leur grève de la faim. »
Et pourtant, dans ce cadre, lorsque le docteur Koyuncu a rendu visite à Nuriye Gülmen, deux membres du Service de l’ordre étaient présents sur ordre d’un magistrat transgressant ainsi le droit des patients mais également l’éthique de la médecine qui est tenue au secret professionnel.
Tout d’abord, il semblerait que Nuriye soit isolée des autres patients du service de soins intensifs et qu’elle ne soit pas dans une chambre traditionnelle mais plutôt dans une pièce où sont entreposés les médicaments et le matériel médical. Ce qui explique que dans cet endroit exigu, il n’y ait de la place que pour un lit et une chaise et qu’il soit dépourvu de salle de bain.
Manifestement, elle est sous contrôle quasi permanent où un membre du Service d’ordre se trouve souvent en faction au pied de son lit et où elle ne peut aller aux toilettes que sous la surveillance d’un militaire. « Le plus gros problème est celui des toilettes » a expliqué le médecin et ceci est ressenti bien évidemment comme une mesure dégradante par Nuriye et surtout consiste en une violation de la vie privée des patients.
Des séquelles physiques sont désormais à craindre
Concernant les soins d’hygiène, outre le fait qu’il n’y ait pas de douche dans le local où se trouve Nuriye, celle-ci ne peut pas se laver car elle refuse que ce soient les infirmières qui lui fassent la toilette, estimant que son état physique ne nécessite pas de telles dispositions.
Ces mesures répressives portent atteinte au moral de l’enseignante qui déclare être « angoissée » de se trouver dans un tel endroit et qui souffre désormais de crises d’insomnie. Elle ajoute également qu’elle considère que rien ne justifie sa présence au service des soins intensifs et que les menaces constantes d’alimentation forcée la rendent anxieuse et nerveuse.
Nuriye informe également le médecin qu’il lui est compliqué d’obtenir des vêtements propres. Celui-ci explique alors que durant une grève de la faim, il est indispensable de changer d’habits tous les jours ce qui n’est plus le cas pour le professeur depuis son hospitalisation. Lorsqu’il lui a demandé si elle souhaitait continuer la grève de la faim, elle a répondu : « oui, je veux continuer ».
Un autre problème majeur reste l’interdiction de se lever pour Nuriye. Lors de son examen clinique, le médecin affirme avoir déjà constaté « ce qu’on appelle des contractures articulaires dues à la limitation des mouvements » Il précise aussi que « les premiers signes de plaies de pression ont également commencé à se former » et que l’alitement forcé peut provoquer des problèmes osseux. Puis il ajoute qu’aux vues des conditions de détention dont elle fait l’objet, alors que personne ne s’occupe de son entretien physique quotidien, des problèmes hygiéniques pouvant engendrer des séquelles sont désormais à redouter. Il craint également que la présence des membres du Service d’ordre à ses côtés ne soient le vecteur de transmission de microbes pouvant entraîner un risque accru d’infections.
De plus, il rappelle que durant l’incarcération de l’enseignante, une personne était présente au quotidien pour s’occuper d’elle, pour l’aider à faire des exercices pour lutter contre les contractures musculaires et pour lui préparer l’eau sucrée, salée, les tisanes et la vitamine B1 indispensables à sa survie. Or ceci n’est plus possible depuis son hospitalisation…
Transgression de l’éthique médicale
En conséquence, le docteur Benan Koyuncu s’interroge sur les raisons d’un tel traitement, sur le pourquoi de sa présence en service de soins intensifs où les conditions de traitement sont pires que durant sa détention à l’hôpital carcéral de Sincan.
Enfin, il informe que les médecins de l’hôpital de Numune ont alerté le Ministère de la santé afin de connaître la conduite à tenir en cas de perte de conscience de Nuriye Gülmen. Celui-ci s’est reporté à l’article 82 de la loi 5275 concernant l’exécution des peines et les mesures de sécurité pour leur ordonner une intervention forcée. Le médecin qui a visité Nuriye rappelle que les menaces permanentes d’alimentation forcée rentrent dans le cadre de la torture psychologique. Il ajoute également que l’éthique, lorsqu’un patient sombre dans le coma, est de respecter ses volontés, même si celles-ci impliquent de ne pas intervenir médicalement.
Voici donc la situation de Nuriye Gülmen après 11 jours en soins intensifs… Son placement en isolation totale et les mesures répressives qui ont été mises en place constituent indubitablement une atteinte à la vie privée et au droit de la santé, allant à l’encontre même de la décision de la Cour européenne des droits de l’homme. Et l’ordre d’alimentation forcé en cas de perte de conscience du professeur est contraires aux conventions internationales. Dans un pays où la justice n’a plus cours, comment était-il encore possible d’imaginer que la vie humaine pouvait avoir encore une quelconque valeur ?
Béatrice Taupin
Dogan Presse Agence