Lafarge en Syrie : une ONG demande l'audition de Laurent Fabius
L'ONG Sherpa, qui s'est constituée partie civile dans cette affaire de financement présumé de Daesh par le cimentier en Syrie, demande l'audition de l'ancien ministre des Affaires étrangères. Selon elle, il ne pouvait pas ignorer la situation.
Laurent Fabius savait-il que Lafarge avait indirectement financé des groupes armés en Syrie entre 2013 et 2014 pour maintenir son activité sur place? Possible, selon l'ONG Sherpa qui réclame l'audition de l'ancien ministre des Affaires étrangères par les juges dans le cadre de l'information judiciaire ouverte par le Parquet de Paris en juin dernier. «La justice française ne doit oublier aucun acteur dans cette affaire. L'État doit être exemplaire, les juges doivent donc rechercher son éventuelle responsabilité», confie la responsable du contentieux de Sherpa, Marie-Laure Guislain, à France Info. L'association réclame également l'audition de deux anciens ambassadeurs de France en Syrie.
Lafarge est soupçonné d'avoir «indirectement» financé en 2013 et 2014 des groupes armés en Syrie pour maintenir en activité sa cimenterie de Jalabiya, à 150 kilomètres au nord-est d'Alep. Lorsqu'éclate le conflit, Lafarge décide de maintenir son activité coûte que coûte. L'instauration du califat le 29 juin 2014 ne fera pas changer d'avis la direction sur place. Par la suite, Lafarge aurait versé plusieurs centaines de milliers d'euros à des intermédiaires pour assurer le passage aux checkpoints de ses employés et de ses camions, tant pour l'approvisionnement du site que pour la circulation du ciment. Le groupe français est aussi soupçonné d'avoir fait affaire avec des intermédiaires et des négociants qui commercialisaient le pétrole raffiné par l'EI. Selon Le Monde, le siège de Lafarge à Paris était au courant de ces manoeuvres.
«Rétrospectivement, les mesures prises pour poursuivre les activités de l'usine étaient inacceptables»
Lafarge
Malgré la publication d'un rapport parlementaire qui blanchit le cimentier en juillet 2016, une enquête préliminaire est ouverte en octobre, après une plainte de Bercy. Des ONG, dont Sherpa, une association de protection et défense des victimes de crimes économiques, saisissent la justice. Puis, en mars dernier, Lafarge fait son mea culpa. Le groupe admet avoir «remis des fonds à des tierces parties afin de trouver des arrangements avec un certain nombre de ces groupes armés, dont des tiers visés par des sanctions». «Rétrospectivement, les mesures prises pour poursuivre les activités de l'usine étaient inacceptables», admet-il. L'affaire fait des remous au sein de la direction. Eric Olsen, patron exécutif de Lafarge, acte son départ en avril lors d'un conseil d'administration, puis quitte le groupe un mois après l'ouverture d'une information judiciaire par le parquet de Paris.
Quel a été le rôle du Quai d'Orsay dans cette affaire? Entre mai 2012 et février 2016, Laurent Fabius est aux commandes. D'après les premières auditions des enquêteurs, publiées par Le Monde, Lafarge était en relation régulière entre 2011 et 2014 avec les autorités françaises. Ces dernières auraient même donné leur aval pour son maintien en Syrie. «Tous les six mois, on allait voir le Quai d'Orsay. On nous incitait fortement à rester (…) Le Quai d'Orsay dit qu'il faut tenir, que ça va se régler. Et il faut voir qu'on ne peut pas faire des allers-retours, on est ancrés et, si on quitte, d'autres viendront à notre place (…) Nous étions le plus gros investissement français en Syrie», aurait déclaré Christian Herrault, ancien directeur général adjoint opérationnel du groupe.
Une version des faits démentie par le Quai d'Orsay, selon France info. Le ministère des Affaires étrangères affirme avoir «alerté le groupe Lafarge sur les risques encourus à rester en Syrie».