Nuriye et Semih : la Cour européenne des droits de l’homme interpelle le gouvernement turc

La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) vient de publier son communiqué du 2 octobre concernant les requêtes de Nuriye Gülmen et Semih Özakça, les deux professeurs en grève de la faim depuis 221 jours en Turquie.

Nuriye Gülmen et Semih Özakça sont deux enseignants turcs limogés par décret-lois dans le cadre de l’État d’urgence mis en place en Turquie suite au push avorté de juillet 2016. Afin d’obtenir réparation et de récupérer leurs emplois, ils ont entamé une grève de la faim le 11 mars. Devant l’ampleur du mouvement contestataire qui a suivi leurs manifestations pacifiques mais quotidiennes, ils ont été incarcérés le 24 mai, injustement accusés de faire partie d’une « organisation terroriste ».
Deux audiences de leur procès ont déjà eu lieu dans des conditions bafouant les règles élémentaires de la justice où tout a été mis en place pour les priver de leur droit à la défense. Nuriye a été transférée contre sa volonté dans le service de soins intensifs de l’hôpital de Numune à Ankara où ses conditions de réclusion mettent en péril sa survie. La prochaine audience aura lieu le 20 octobre au tribunal de la prison de Sincan dans la capitale turque.

Face à ces injustices politiques, sociales et juridiques dont font l’objet Nuriye et Semih, la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) avait été saisie afin d’obtenir leur libération. Or, malgré plusieurs rapports médicaux affirmant que leurs vies étaient en danger, la Cour avait rejeté cette demande estimant que la détention à l’hôpital de la prison de Sincan ne faisait pas « peser sur eux un risque réel et imminent de dommage irréparable pour leur vie ou leur intégrité physique ».
Elle avait cependant précisé que les prisonniers ne pouvaient pas vivre sans assistance quotidienne et avait demandé au Gouvernement « de faire en sorte que des dispositions adéquates soient prises pour aider les requérants dans leurs besoins quotidiens » et « de permettre aux requérants de consulter les médecins de leur choix à l’hôpital de la prison, s’ils le souhaitent, de manière à leur permettre de décider de poursuivre ou non leur grève de la faim. »

Devant l’urgence de la situation, depuis plusieurs semaines, tous les jeudis, une délégation constituée de membres du Front populaire de Nancy, de Strasbourg, de plateformes de soutien à la Résistance allemandes et de membres de Grup Yorum ont alerté la CEDH sur les conditions de détention imposées aux deux enseignants ainsi que sur celles de leur procès. Parallèlement à cela, leurs avocats ont déposé une nouvelle requête concernant en l’espèce les mêmes griefs et précisant que « leur placement en détention provisoire risque de raccourcir leur espérance de vie » du fait des conditions imposées ainsi que d’une « impossibilité d’avoir désormais accès à un médecin de leur choix ».  Outre le caractère arbitraire de la décision d’incarcération provisoire, il a également  été abordé « l’absence de preuves concrètes » des faits qui leur sont reprochés, le fait de « n’avoir pas pu contester de manière efficace leur détention au motif qu’ils n’ont pas eu accès aux éléments de preuve contenus dans les dossiers des enquêtes en cause » ainsi que le non-respect des « garanties procédurales consacrées par l’article 5 § 4 de la Convention ».

En conséquence, la Cour européenne des droits de l’homme a contacté l’État turc afin d’obtenir des précision sur six points particuliers. Tout d’abord, et parce que le Gouvernement avait informé la CEDH qu’un groupe de travail des Nations Unies sur leur détention arbitraire avait été saisi des mêmes griefs que ceux présentés devant la Cour, et alors que les deux professeurs affirment ne pas en avoir été les demandeurs, celle-ci souhaite savoir si les deux enseignants ont « épuisé les voies de recours internes, comme l’exige l’article 35 § 1 de la Convention » et s’ils ont « soumis l’un quelconque de leurs griefs à une autre instance internationale d’enquête ou de règlement ».
Puis la Cour souhaite savoir si les requérants ont « été privés de leur liberté en violation de l’article 5 §§ 1 et 3 de la Convention » et si leur détention a été ordonnée « selon les voies légales », sur la base de « raisons plausibles de soupçonner » qu’une infraction avait été commise.
Concernant le fait que les prisonniers n’ont pas pu accéder aux pièces de leur dossier, et qu’il n’ont pas pu contester les raisons de leur incarcération de façon efficace, la CEDH demande si « la procédure par le biais de laquelle ils ont cherché à contester la légalité de leur détention provisoire » était « conforme aux exigences de l’article 5 § 4 de la Convention » et s’il y a eu « violation des articles 2 et 3, combinés avec l’article 5 de la Convention, en raison de la mise en détention provisoire des requérants et des conditions de la détention ». Elle invite également le gouvernement à se prononcer, en se basant sur leur lettre du 29 septembre, sur le fait que les conditions d'incarcération imposées aux deux enseignants mettraient leurs vies en danger.
Enfin, il est demandé au gouvernement de fournir à la Cour « toute information et document relatif à l’état de santé des requérants », « aux mesures prises, telles que mentionnées dans la lettre du 2 août 2017 de la Cour », concernant le fait que les deux professeurs ne peuvent pas continuer à vivre sans assistance ainsi que la possibilité pour eux de consulter les médecins de leur choix à l’hôpital de la prison, de manière à leur permettre de décider de poursuivre ou non leur grève de la faim.

La réforme des institutions a considérablement réduit l’autonomie de la justice en Turquie. Nuriye Gülmen et Semih Özakça en sont les victimes flagrantes. Mais ils ne sont pas les seuls malheureusement et leur combat est également celui de milliers de personnes dans leur situation. Alors que répondra le gouvernement turc aux demandes de la Cour européenne des droits de l’homme ? Aux vues de tout ce qui a été mis en place pour priver les deux enseignants de leur droit de défense lors des deux premières audiences, on peut craindre que la véracité des réponses qui vont être données à la CEDH soit plus que contestable…

Béatrice Taupin
Dogan Presse Agence


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