Il y a quinze ans, Rachel Corrie mourrait écrasée par un bulldozer israélien

Devenue le symbole du soutien à la cause palestinienne, Rachel Corrie, pacifiste américaine de 23 ans, fut tuée le 13 mars 2003, écrasée par un bulldozer israélien alors qu'elle tentait d'empêcher la destruction de maisons dans la bande de Gaza.

Rachel Corrie avait 23 ans, fin janvier 2003 lorsqu’elle quitta l’État de Washington où elle vivait aux États-Unis pour s’installer à Rafah dans la bande de Gaza, avec des volontaires américains et britanniques du Mouvement de solidarité internationale (International Solidarity Movement - ISM) dans le but d’organiser un jumelage entre sa ville, Olympia, et Rafah. Après sa quatrième année d’université, cette étudiante brillante en arts plastiques décide de rejoindre cette ONG regroupant des pacifistes palestiniens et internationaux. L’ISM prône la non-violence et les actions directes en vue de lutter pour la liberté en Palestine et la fin de l’occupation israélienne. En effet, depuis septembre 2000 qui marque le début de la seconde Intifada, les gazaouis subissent sans relâche les incursions de l’armée israélienne qui procède sans relâche à des arrestations, des bombardements et des destructions de maisons en représailles aux attentats-suicides perpétrés sur son sol. Afin d’aider la population palestinienne à faire face à l’armée d’occupation, les membres de l’ISM tentent donc de les protéger des tanks, des bulldozers et des tireurs d'élite de l'armée israélienne. Le 7 février 2003, dans un mail envoyé à sa famille, la jeune fille écrivait : « Je suis en Palestine depuis deux semaines et une heure, et les mots me manquent encore pour décrire ce que je vois (…) Je ne sais pas si beaucoup d'enfants ici ont jamais vécu sans voir des trous d'obus dans leurs murs et les miradors d'une armée d'occupation les surveillant constamment depuis les proches alentours ». 

Morte écrasée par un bulldozer
Pendant plusieurs semaines, Rachel Corrie va vivre avec des habitants de Rafah et prendre une part active dans les actions de l’ISM. Le 16 mars 2003, en compagnie d’autres militants pacifistes, elle tente d’empêcher la destruction de maisons par deux bulldozers Caterpillar D9 dans le quartier de Hi Es Salam, à Rafah, et notamment de celle d’un médecin palestinien, suspecté de cacher des armes.
Habillée d'un gilet orange fluo et armée d'un haut-parleur, elle va se placer comme bouclier humain face à un bulldozer afin de se faire voir par le conducteur et essayer, deux heures durant, avec les autres volontaires, d'empêcher l'avancée de l’engin. Selon Dreg Sha, militant américain de l’Illinois présent sur les lieux : « Rachel a tenu tête au bulldozer seule parce qu'elle connaissait cette famille et parce qu'elle pensait que son action était juste. S'approchant de plus en plus de Rachel, le bulldozer a commencé à pousser la terre sous ses pieds. À quatre pattes, elle essayait de rester au sommet de la pile qui ne cessait de monter. À un moment, elle s'est retrouvée assez haut, presque sur la pelle. Suffisamment près pour que le conducteur puisse la regarder dans les yeux. Puis elle a commencé à s’enfoncer, avalée dans la terre sous la pelle du bulldozer. Le bulldozer n'a pas ralenti, ne s'est pas arrêté. Il a continué à avancer, pelle au niveau du sol, jusqu'à lui passer sur tout le corps. Alors il s'est mis en marche arrière, la pelle toujours au sol, et lui est repassé dessus. » Puis il poursuit : « Rachel gisait sur le sol, tordue de douleur et à moitié enterrée. Sa lèvre supérieure déchirée saignait abondamment. Elle ne put que dire 'je me suis cassé le dos'. Après ça, elle n'arriva plus à dire son nom ni même à parler. (...) Mais on pouvait voir son état se détériorer rapidement. Des signes indiquant une hémorragie interne à la tête sont bientôt apparus. Après environ un quart d'heure, des brancardiers sont arrivés et l'ont emmenée à l'hôpital ». Faits corroborés par Huwaida Arraf, cofondateur de l’ISM ainsi que plusieurs autres volontaires, témoins du drame. Transférée à l’hôpital, Rachel Corrie décèdera peu de temps après des suites de ses blessures.

« Un regrettable accident »
Cependant, pour l’armée israélienne, le décès de la jeune femme reste un « regrettable accident » dû au « comportement illégal et irresponsable » des militants d’ISM et de Rachel Corrie « alors qu'elle perturbait les opérations menées sur le terrain par des bulldozers » militaires. Une source de Tsahal au moment des faits déclarait : « Ils se mettent en danger délibérément dans les zones de combat ». Selon le porte-parole de l’armée israélienne, le conducteur du bulldozer ne l'aurait pas vue, car elle aurait été dans un angle mort et le rapport d’enquête de l’armée a conclu que « Corrie n'a pas été tuée parce que le bulldozer l'a écrasée ou du fait de l'action de cet engin, mais parce que des amas de terre et des matériaux de construction poussés par le bulldozer l'ont ensevelie ». Dès 2003, le dossier a été clos par le procureur général militaire et aucune mesure disciplinaire n'a été prise à l’encontre du chauffeur.
La famille de Rachel a donc contesté cette décision en déposant une plainte au civil contre l’État d’Israël et le ministère de la Défense en réclamant un dollar de dédommagement symbolique. Après sept ans de lutte, le 10 mars 2010, le Tribunal de district d’Haïfa, dans le nord d'Israël, rouvrait le dossier pour confirmer que l’enquête de la police militaire avait été menée correctement. En août 2012, le juge Oded Gershon a rejeté l’affaire, estimant que l’État israélien n'était pas responsable d’un décès s’étant produit « en temps de guerre ». Non seulement les parents de Rachel n’ont pas été indemnisés mais le conducteur du bulldozer ayant écrasé leur fille a été totalement blanchi. La magistrat a affirmé qu’il était « parvenu à la conclusion qu'il n'y a pas eu de négligence » de sa part tout en n’hésitant pas à incriminer Rachel Corrie qui « ne s'est pas tenue à distance de la zone comme toute personne qui réfléchit l'aurait fait ». Après toutes ces années, aucune justice n’a été rendue à la famille de Rachel Corrie et le gouvernement américain ne s’est toujours pas manifesté auprès du gouvernement Israélien.

Première volontaire étrangère massacrée par l'armée israélienne dans la bande de Gaza, la jeune militante pacifiste est devenue la figure emblématique de la mobilisation en faveur des Palestiniens. Cette jeune américaine qui a commencé à militer pour la paix après les attentats du 11 septembre 2001, pour qui l’envie de voir sur le terrain ce qui s’y passait réellement était plus inquiète par l’inefficacité des actions mises en place par ISM que par un éventuel sentiment de se sentir en danger. Et pourtant ! Son décès provenu de façon si terrible en étant écrasée par un bulldozer de l’armée israélienne, fabriqué et fourni par les États-Unis, a fait d’elle une « martyre » pour la Palestine. Devenue une légende malgré elle, une pièce de théâtre basée sur ses écrits personnels a été jouée dans plus de dix pays et l'un des navires engagés dans la flottille Free Gaza, le MV Rachel Corrie, a été baptisé à son nom. Encore aujourd’hui, Rachel demeure un symbole que nul ne pourra effacer. Les rues ainsi que les murs de Rafah sont ornés de photos et de graffitis représentant la jeune américaine, plaçant à jamais son acte de bravoure au cœur du conflit israélo-palestinien.

Béatrice Taupin
Dogan Presse Agence


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