En Aveyron, Renault lâche la fonderie automobile SAM
Le constructeur ne croit pas au projet de reprise porté par un ancien dirigeant du site. Une décision qui devrait condamner cette usine de 340 salariés à la liquidation.
« Je suis estomaquée », réagit Sandrine. Cette infirmière, employée de la Société aveyronnaise de métallurgie (SAM) de Viviez, dans l’ancien bassin houiller de Decazeville (Aveyron), n’en croit pas ses yeux. Mardi en début de soirée, depuis sa maison située à Querbes, un hameau situé à une vingtaine de kilomètres de cette usine qui fabrique des pièces automobiles, elle lit sur Internet, frénétiquement, les articles de presse qui mentionnent le refus de Renault de soutenir l’unique offre de reprise, portée par Patrick Bellity, l’ancien dirigeant de cette fonderie jusqu’en juin 2016.
Reprise en 2017 par le groupe chinois Jinjiang, la SAM, installée à Viviez sur les hauteurs de Decazeville, avait été placée en redressement judiciaire le 10 décembre 2019, puis, le 16 septembre 2021, en liquidation judiciaire avec poursuite d’activité jusqu’au 10 décembre.
« Ce n’est que du blabla, se rassure Sandrine. C’est impossible d’écrire des trucs pareils pour supprimer des emplois. Ça sonne creux et c’est scandaleux », tonne-t-elle, emportée par la colère. Julien, lui, se dit « dégoûté » si la SAM ferme ses portes définitivement, laissant sur le carreau 340 emplois. « Pour le moral, je ne me projette pas et je ne cherche pas de travail », espère encore le jeune chef d’équipe.
Didier, manutentionnaire depuis trente-sept ans et proche de la retraite, ne se berce plus d’illusions. « A mon âge, je n’attends plus rien. Cela fait deux ans qu’on laisse traîner cette situation. Toutes les fonderies ferment. Il fallait une décision en haut lieu », regrette-t-il, lucide.
« De forts doutes sur la solidité financière »
Mardi, en fin de journée, c’est par la voix d’un communiqué de presse que Renault, l’unique client de la SAM, clarifie sa position à l’égard de cette offre de reprise, et douche, dans le même temps, le mince espoir des salariés. « Renault Group ne peut s’engager sur le projet de reprise d’Alty-Sifa » , indique le constructeur, qui motive sa décision par la fragilité financière de cette candidature. « Cette offre ne présente pas les conditions de pérennité et de sécurité nécessaires pour l’entreprise et ses salariés. Il existe de forts doutes sur la solidité financière malgré les supports financiers externes envisagés, et les réelles capacités d’investissement et de redressement de Jinjiang SAM par Alty-Sifa. »
Une source proche du dossier va plus loin, affirmant que « ce projet, pas viable, est porté par un repreneur qui a démontré qu’il n’est pas crédible ». « Pour une fois, Renault est droit dans ses bottes et assume ce que le gouvernement et les élus n’osent pas reconnaître en période électorale. »
Patrick Bellity, lui, s’offusque. « Je n’arrive pas y croire. On marche sur la tête. Vous croyez que les salariés, dont la moyenne d’âge est de 54 ans, vont laisser leur famille pour aller travailler à l’usine de Flins (Yvelines), en Roumanie ou en Turquie ? Cette décision, c’est de la foutaise. On se fout de la gueule du monde », enrage-t-il, déplorant les « milliards offerts par l’Etat au groupe sans contrepartie ».
« J’ai fait mon job pendant dix-huit ans, je reviens pour sauver la SAM. On ne demande pas un centime d’investissement à Renault et, en plus, j’ai des garanties financières », se justifie M. Bellity. Il y a quelques mois, il proposait une première offre de reprise, refusée par Renault pour le même motif.
Soutien de l’Etat et de la région
Or, la deuxième mouture obtenait le soutien financier de l’Etat, actionnaire minoritaire de Renault : une aide d’un million d’euros et un prêt de 4,7 millions d’euros. « L’Etat regrette qu’aucun projet industriel n’ait été présenté à ce stade, commente Bercy. Mais on ne prend pas directement de décision de gestion pour Renault. »
La région Occitanie (PS) apportait également son appui à M. Bellity : 900 000 euros de subventions et un prêt de 2,4 millions sur six ans.
« La réponse apportée par Renault est irresponsable et destructrice : elle condamne l’usine et ses activités », se désole Carole Delga, sa présidente, qui annonce déployer des dispositifs de formation pour accompagner les salariés. « Nous poursuivrons le travail mené pour que des projets industriels d’avenir voient le jour sur le territoire. La région ne vous laissera pas tomber ! », promet Mme Delga.
Ni le tour de table de 9 millions d’euros, ni la mobilisation sans relâche des salariés pour sauver leur usine n’ont infléchi la décision de Renault. Aussi, faute de repreneur, le tribunal de commerce de Toulouse fixera vendredi 26 novembre une nouvelle date d’audience pour prolonger la poursuite de l’activité de la SAM pour une durée maximale de trois mois. Ou prononcer sa liquidation. « On va réagir, promet Sandrine. On va faire ce qu’il faut. On n’a plus rien à perdre, on ira jusqu’au bout. »
Audrey Sommazi