Migrants: l’UE enterre le partage par quotas pour passer Í  la «solidarité flexible»

En quelques phrases lâchées sur l’espace d’une semaine, l’UE a acté son virage à 180º sur l’accueil des réfugiés. Une victoire des États du groupe de Visegrad.

Pour beaucoup, le changement a été acté à Strasbourg la semaine passée. Dans son passage sur la crise des réfugiés et de la migration lors de son discours sur l’état de l’Union , le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker a eu cette phrase : « La solidarité ne doit pas être forcée ni imposée, elle doit venir de notre cœur. »

Une phrase lourde de sens, qui signifiait ceci : on ne peut forcer les États qui ne le veulent pas, d’accueillir des réfugiés. Le président de la Commission annonçait pour la première fois que raison était donnée aux quatre États du groupe de Visegrad (V4) dans leur opposition à la décision européenne de répartition des demandeurs d’asile par quotas.

Une décision qui avait été proposée par la Commission en mai 2015, puis avait été adoptée en novembre de la même année par une majorité qualifiée des 28, contre la Hongrie, la Slovaquie et la Tchéquie, rejointes par la Pologne laquelle avait voté pour, avant que l’arrivée au pouvoir des conservateurs populistes du PiS ne change la donne.

Deux jours après le discours de Juncker, où certains se demandaient s’ils avaient vraiment entendu ce qu’ils avaient entendu, le sommet informel des 27 (sans le Royaume-Uni) à Bratislava le 16 septembre a confirmé tacitement le changement de cap. La déclaration solennelle finale de cette rencontre, destinée à rabibocher une UE qui s’est déchirée sur la gestion de la crise migratoire, ne faisait aucune mention du plan temporaire de répartition de 160.000 réfugiés. Mais bien une allusion : la feuille de route accompagnant la « déclaration de Bratislava » indiquait que « le travail devait se poursuivre pour élargir le consensus de l’UE en termes de politique migratoire à long terme, en ce compris comment appliquer les principes de responsabilité et solidarité dans le futur. » Traduction : la seule façon de combler le fossé entre nous est de redéfinir le concept de solidarité.

Perplexité

Une redéfinition proposée par les V4, sous le vocable de « solidarité flexible » qui a suscité la plus grande perplexité lorsqu’il est apparu à Bratislava.

L’explication de texte finale a été livrée jeudi à Bruxelles par Jean-Claude Juncker lors d’une intervention au Conseil économique et social européen : « La répartition des réfugiés doit se faire d’une façon solidaire. Il y a des pays qui le font, d’autres qui n’aiment pas le faire car ils disent «nous sommes des pays catholiques, et on n’a pas de place pour les musulmans». Je trouve ce raisonnement inacceptable. Il y a d’abord les hommes et puis les religions. Il faudra que nous arrivions à accueillir sur notre territoire tous les hommes qui fuient la guerre, qui fuient le viol. Mais si certains pays ne peuvent pas le faire, il faudra qu’ils participent davantage à la protection des frontières extérieures. ».

C’est dit, reste à le mettre en musique. Quelles seront les répercussions exactes de ce changement de cap qui a été clairement négocié entre les dirigeants de l’UE lors de leur intense chassé-croisé qui a préparé le sommet de Bratislava ? Le principe du partage de réfugiés a fait l’objet à ce jour d’une décision, et d’un projet. La décision fut celle de novembre 2015 de répartir par quotas 160.000 demandeurs d’asile sur deux ans, dans le cadre d’un mécanisme d’urgence. Le projet est celui de la réforme du règlement dit de Dublin, qui définit les principes et les modalités européennes de la gestion et de l’accueil des demandeurs d’asile.

Ce projet de la Commission présenté en mai dernier prévoit la possibilité, en cas d’urgence, d’activer une répartition par quotas. À défaut d’accepter des demandeurs, les États pourraient choisir de contribuer à l’effort commun avec un montant de 250.000 euros par réfugié. (Un chiffre astronomique qui a unanimement été perçu comme une provocation de la Commission à l’égard des pays de Visegrad…)

Compromis

Comment ce système sera-t-il converti en un mécanisme « flexible » ? La Slovaquie, qui assure la présidence tournante des travaux de l’UE, va prochainement déposer une proposition de compromis, qui n’est autre que celle à laquelle a fait allusion jeudi Juncker : elle prévoira d’amender la proposition de réforme du règlement de Dublin de manière à permettre de remplacer l’accueil de réfugiés par des contributions supplémentaires au Corps européen de gardes-côtes et gardes-frontières, dont le déploiement devrait commencer à intervenir en octobre.

Et qu’en sera-t-il du plan de relocalisation (accueil à partir d’autres États de l’UE) et de réinstallation (accueil à partir de pays hors de l’UE) ? « De toute façon, il n’y aura pas 160.000 réfugiés à répartir », indique une source européenne, vu que le flux en provenance de Turquie a été réduit. « Et s’il y a toujours une cinquantaine de milliers de migrants bloqués en Grèce, les demandeurs susceptibles d’obtenir l’asile en constituent une minorité », concluait notre même source.

Par Jurek Kuczkiewicz


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