I-Télé: Morandini Í l’antenne, malgré la grève
Les journalistes de la chaîne ont voté hier la grève, à une large majorité. Et le directeur adjoint de la rédaction, Alexandre Ifi, a annoncé son départ.
A 18 heures pile, comme annoncé, Jean-Marc Morandini a fait son apparition hier soir sur l’antenne d’i-Télé. Comme si de rien n’était, l’animateur a lancé les sujets de sa tranche d’information quotidienne, dédiée aux médias : la série américaine qui s’inspire des « frasques de Donald Trump », le succès de l’animateur Stéphane Plaza, le débat de la primaire de droite à la télévision... Rien sur la grève qui a forcé i-Télé à ne passer que des rediffusions toute la journée. Rien à fortiori sur l’opposition que sa propre arrivée suscite parmi les journalistes de la chaîne, révoltés par le recrutement d’un animateur mis en examen pour corruption de mineurs aggravée.
Départ du rédacteur en chef
Les journalistes se sont réunis en assemblée générale, lundi matin, et ont voté la grève, à une large majorité. Celle-ci a commencé lundi midi pour 24 heures et sera éventuellement reconductible par vote mardi.
Malgré cela, l’émission de Jean-Marc Morandini a été lancée, après qu’un premier pilote a été tourné vendredi, des pigistes ont été recrutés pour préparer l’émission, lundi après-midi.
Signe de la très forte tension suscitée en interne, Alexandre Ifi, directeur adjoint de la rédaction, a annoncé son départ pendant l’assemblée générale, déclenchant des applaudissements et des pleurs. Depuis un an, le journaliste dirigeait dans les faits la rédaction de la chaîne, après le limogeage de Céline Pigalle en septembre 2015. Celle-ci avait été remplacée par Guillaume Zeller, dont l’arrivée avait généré des inquiétudes, mais celui-ci est déjà reparti. Alexandre Ifi était un pilier d’i-Télé, où il a travaillé depuis la naissance de la chaîne, en 1999, comme journaliste, correspondant à Berlin, présentateur, chef d’édition…#JeSoutiensITele
L’affrontement entre rédaction et direction s’est poursuivi durant le week-end, après une semaine marquée par le vote d’une motion de défiance à 92 %, et la publication dans Le Monde d’une tribune dans laquelle la Société des journalistes (SDJ) estimait que l’image de l’animateur, mis en examen en septembre pour « corruption de mineurs » et « corruption de mineurs aggravée », « ne pouvait pas être associée » à celle de la chaîne. « Il est préférable que vous renonciez à votre venue », lui écrivaient les journalistes.
Samedi, le hashtag #JeSoutiensITele a été lancé sur Twitter, devenant rapidement l’un des sujets les plus partagés sur le réseau social, grâce aux messages de nombreux journalistes. En réaction, le groupe Canal+ a lancé un hashtag concurrent, #JeSoutiensLaPrésomptiondInnocence, notamment retweeté par M. Morandini. Celui-ci avait, jeudi, répondu à la tribune de ses « confrères », en leur demandant « de respecter [ses] droits et de [le] laisser travailler. »
L’atmosphère s’est envenimée vendredi quand le président de Canal+, Jean-Christophe Thiery, a confirmé aux salariés l’arrivée de M. Morandini, en invoquant « le respect de la parole donnée », « la solidarité avec les collaborateurs du groupe » et « le principe de la présomption d’innocence ».
« Nous sommes prêts à vous laisser la possibilité, en dehors du cadre légal strict, d’exercer, en tant que journaliste, le droit de rupture de votre contrat de travail au titre de l’activation de la clause de conscience », a aussi annoncé M. Thiery dans un courrier aux journalistes.
Une invitation comprise en interne comme un « fermez-la ou barrez-vous », selon un journaliste. Oralement, quelques jours plus tôt, le directeur de la chaîne, Serge Nedjar, avait déjà lancé aux salariés : « Si vous n’êtes pas contents, vous n’avez qu’à partir… » Autant de messages durement ressentis par une rédaction qui a le sentiment que son point de vue est ignoré, voire méprisé.
Certains annonceurs auraient manifesté leurs réticences
De nombreux journalistes de la chaîne voient l’arrivée de M. Morandini comme une étape supplémentaire dans la prise de contrôle de la chaîne par Vincent Bolloré. De source interne, c’est l’actionnaire principal de Vivendi (maison mère de Canal+) lui-même qui a imposé cette venue et maintient une ligne qualifiée de « jusqu’au-boutiste », au point de susciter de l’incompréhension, chez les journalistes mais aussi au-delà. De plus, certains annonceurs de la chaîne auraient manifesté leurs réticences.
M. Bolloré semble privilégier la fidélité. Il entretient des relations de longue date avec M. Morandini, avec lequel il a collaboré dans sa chaîne Direct 8, dans son quotidien gratuit Direct Matin et au sein du site Jeanmarcmorandini.com, dont le groupe de l’industriel breton a été actionnaire majoritaire. A i-Télé, certains voient en M. Morandini un obligé de M. Bolloré.
Or, le patron de Vivendi n’a jamais caché son intention de faire de la chaîne un média qui puisse valoriser les autres activités du groupe. Son journal Direct Matin fait déjà la part belle aux activités du groupe Bolloré (voitures électriques, batteries, logistique, etc.), sous la houlette de son directeur général, Serge Nedjar, nommé en mai à i-Télé.
Le déménagement de Direct Matin aux côtés des équipes d’i-Télé a précisément été annoncé. Tout comme le changement de nom d’i-Télé, prévu le 24 octobre, pour donner naissance à CNews. Et marquer le début d’une nouvelle ère.
Par Alexis Delcambre et Alexandre Piquard